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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Un musicien étranger à Paris (9/10) > Un musicien étranger à Paris (9/10)

Profondément ému, mon pauvre ami s'arrêta. Si la parole lui était devenue plus facile, l'exaltation intérieure ne lui causait pas moins une affreuse fatigue. Il ne lui était plus possible de se tenir assis. Il retomba avec un faible gémissement. Une longue pause suivit. J'observai ce malheureux avec une émotion pénible. Ses joues avaient revêtu cette teinte rouge transparente particulière aux phtisiques. Il avait fermé les yeux, et restait là comme endormi. Sa respiration ne se trahissait que par un mouvement peu sensible et presque éthéré. J'attendais avec anxiété le moment où je pourrais lui parler pour lui demander à quoi je pourrais encore lui être bon en ce monde. Enfin, il ouvrit les yeux. Un éclat glauque et surnaturel animait son regard qu'il tourna sans hésiter vers moi.

— Mon pauvre ami, lui dis-je, tu me vois plein d'un désir douloureux de te servir en quelque chose. As-tu quelque vœu à faire ? dis-le moi.

Il répondit en souriant : — Tu es bien impatient, ami, de connaître mon testament. Oh! sois sans inquiétude, je ne t'y ai pas oublié. Mais ne veux-tu donc pas apprendre auparavant comment ton malheureux frère en est venu jusqu'à mourir? Vois-tu, je voudrais que mon histoire fût connue au moins d'une âme sur cette terre, et je n'en sais pas une, si ce n'est la tienne, de qui je puisse croire qu'elle se soucie de moi. Ne crains pas que je me fatigue; je me sens à mon aise, et la chose m'est facile. Aucune pesanteur dans la respiration, et les paroles coulent de source. Au reste, vois-tu, je n'ai plus que peu de chose à raconter. Tu te figures bien qu'au point ou j'en étais arrivé de mon histoire, je n'avais plus rien à faire avec les choses du monde extérieur. C'est de là que date mon histoire intime, car je sus dès ce moment que je mourrais bientôt. Cette affreuse gamme sur le cornet dans l'hôtel de l'Anglais me remplit d'un dégoût de la vie, mais dégoût tellement irrésistible que je résolus de mourir. Je ne devrais point, à la vérité, tirer gloire de cette résolution, car je n'étais plus guère libre de vouloir mourir ou vivre. Quelque chose avait éclaté dans ma poitrine et y avait laissé une résonance prolongée et perçante. Quand ce son s'éteignit, je me sentis à mon aise comme je ne l'avais jamais été, et sus que j'allais mourir. Oh! que cette conviction me remplit de contentement! Comme je m'exaltai au pressentiment d'une dissolution prochaine que je surpris dans toutes les parties de mon être délabré! Insensible à tous les objets extérieurs, et ne sachant où me portaient mes pas tremblants, j'arrivai un jour sur les hauteurs de Montmartre. Je saluai le mont des Martyrs, et résolus de finir sur ce coin de terre ; car je mourais, moi aussi, pour la pureté de la croyance ; je pouvais, moi aussi, me dire martyr, quoique ma foi n'eût jamais été combattue par personne,si ce n'est par la faim. Ici, malheureux sans asile, j'ai trouvé un toit ; je n'ai pas demandé autre chose, sinon qu'on me donnât ce lit et qu'on fît chercher les partitions et les papiers que j'avais déposés dans un misérable bouge de la grande ville, car je n'avais, hélas! pu réussir à les mettre quelque part en gage. Tu me vois, j'ai résolu de mourir en Dieu et dans la véritable musique. Un ami me fermera les yeux; mon chétif avoir suffira pour payer mes dettes, et j'aurai sans doute une sépulture honorable, que puis-je donc souhaiter de plus ?

Je donnai jour enfin aux sentiments qui m'oppressaient :

— Comment, m'écriai-je, as-tu pu ne m'invoquer que pour ce triste service ! Ton ami, quelque mince que fut son pouvoir, ne pouvait-il donc pas t'être utile d'une autre manière ? Je t'en conjure, pour ma tranquillité, parle sincèrement, était-ce un défaut de confiance dans mon amitié qui t'empêcha de t'adresser à moi et de me faire connaître plus tôt ton sort ?
— Oh ! ne te fâche pas, répondit-il d'un air suppliant, ne te fâche pas contre moi quand je t'avouerai que je m'opiniâtrais à te regarder comme mon ennemi! Quand je reconnus mon erreur à cet égard, ma tête tombait dans un état qui m'enlevait la responsabilité de mes actions. Je sentis que je n'avais plus rien à faire avec les hommes sensés. Pardonne-moi, et montre-toi plus bienveillant que je ne le fus à ton égard. — Allons! donne-moi la main, et que cette faute de ma vie soit comme effacée!

Je ne pus résister ; je saisis sa main et fondis en larmes. Cependant, je reconnus combien les forces de mon ami diminuaient. Il n'était plus en état de se dresser : cette rougeur passagère alternait sur ses joues avec des teintes de plus en plus mates.

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***

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