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Dix écrits de Richard Wagner - « Stabat Mater », de Pergolèse (1/2) > « Stabat Mater », de Pergolèse (1/2) REVUE CRITIQUE
STABAT MATER de Pergolèse, arrangé pour grand orchestre avec chœurs par Alexis Lvoff, membre des Académies de Bologne et de Saint-Pétersbourg.
Il existe encore d'honnêtes musiciens qui mettent leur plus vive jouissance à
rechercher les chefs-d'œuvre des anciens maîtres pour se pénétrer de leur mérite
incomparable ; et quand on apporte à cette étude autant de zèle et
d'intelligence que l'auteur dont nous allons parler, les travaux qui en
résultent ne méritent pas moins d'estime et de reconnaissance que des ouvrages
originaux. Ce serait une grave erreur que de supposer à M. Lvoff la prétention
d'ajouter à la perfection de l'œuvre de Pergolèse, quand évidemment il n'a eu
pour but que d'en rappeler le sublime exemple à l'école moderne et de le faire
classer dans le répertoire des exécutions contemporaines. Sous l'influence de
cette conviction, et malgré tous les scrupules esthétiques suscités par ce mode
d'arrangements secondaires, on ne saurait donc contester l'importance et
l'intérêt de la publication actuelle.
A une époque comme la nôtre, où les diverses branches de l'art musical ont pris une extension si divergente, au point de
s'être souvent modifiées de la manière la plus anormale, c'est un besoin
essentiel et un noble devoir que de remonter aux sources primitives, pour y
puiser de nouveaux éléments de force et de fécondité. Mais pour resserrer
utilement ces liens de parenté avec les grands maîtres du temps passé, la
pratique de leurs compositions, adaptées s'il le faut aux exigences du goût
moderne, aura toujours plus d'efficacité qu'une imitation pâle et médiocre de
leur merveilleux style. Ce dernier procédé offre, en effet, le danger d'une
pente rétrograde, les imitateurs en question s'attachant trop fréquemment à
reproduire surtout dans leurs pastiches des formes surannées que réprouve la
pureté du goût.
Les admirateurs exclusifs de l'ancienne école sont tombés dans une exagération
vicieuse en préconisant sa facture incomplète au même degré que le fond et la
pensée de ses œuvres.
Autant celle-ci avait de grandeur et de noblesse, autant les détails de
l'exécution matérielle se ressentent de l'inexpérience, des tâtonnements d'une
science à son début; et l'on ne peut révoquer en doute le perfectionnement des
formes, sinon de nos jours, du moins pendant la période intermédiaire qui
succéda à cet âge d'or de l'art musical.
Ce fut avec Mozart, le chef de l'école idéale, que la musique, religieuse sous
le rapport de la facture, parvint réellement à son apogée ; et si je ne craignais d'être mal
interprété, j'oserais dire qu'il serait à souhaiter que tous les ouvrages du
temps précédent nous eussent été transmis revêtus de formes analogues, car la
perfection de celles-ci aurait été une compensation suffisante aux inconvénients
de cette transformation, désavantage fort léger d'ailleurs, puisque Mozart
n'était pas trop éloigné de l'époque primitive, et que sa manière en a conservé
le sentiment et les traits caractéristiques. Il a prouvé, au contraire, avec
éclat combien les anciens chefs-d'œuvre pouvaient être embellis par la
vivacité et la fraîcheur du coloris, sans rien perdre pour ainsi dire de leur
mérite intrinsèque, notamment par l'arrangement de l'oratorio du Messie de
Haendel.
Nous sommes loin de blâmer ceux qui voudraient qu'on n'exécutât l'œuvre de
Haendel que dans une cathédrale, avec un chœur de trois à quatre cents voix,
appuyé des orgues et d'un quartette composé d'un nombre égal d'instruments à
cordes, pour jouir de tout l'éclat et de toute l'énergie primitive de la
composition. Sans doute que pour l'individu jaloux d'apprécier la valeur
historique de la musique de Haendel, il serait préférable de l'entendre rendue
avec des moyens aussi puissants, chose presque impossible, du reste, à réaliser
aujourd'hui, en raison de cette circonstance majeure et bien notoire, à savoir
que Haendel improvisait lui-même sur l'orgue l'accompagnement des premières exécutions du
Messie. N'est-il pas permis de croire que
le compositeur à qui l'emploi perfectionné des instruments à vent était encore
inconnu, se serait alors servi des orgues pour produire les mêmes effets que
Mozart confia plus tarda ces instruments à vent améliorés ?
En tout cas, l'instrumentation de Mozart a embelli l'ouvrage de Haendel dans
l'intérêt général de l'art. Il fallait, à la vérité, le génie d'un Mozart pour
accomplir une pareille tâche avec une mesure aussi parfaite. Celui qui
entreprend aujourd'hui un travail analogue ne peut donc rien faire de mieux que
de le prendre pour modèle, sans chercher surtout à compliquer sa facture si
simple et si naturelle. Car l'application des procédés d'instrumentation moderne
serait le plus sûr moyen de rendre méconnaissables le thème et le caractère des
anciennes œuvres. ***
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