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Dix écrits de Richard Wagner - De l'ouverture (1/4) > De l'ouverture (1/4) DE L'OUVERTURE
Autrefois les pièces de théâtre étaient précédées de prologues. Il est probable
qu'on regardait comme une tentative trop hardie d'arracher d'un seul signe les
spectateurs aux impressions encore toutes-puissantes de la vie habituelle, pour
les transporter au milieu des apparitions idéales des héros de théâtre. On
croyait agir plus prudemment en préparant le public par une introduction qui
tenait déjà de l'art à un ordre de choses qui lui appartenait immédiatement. Ce
prologue faisait appel à l'imagination des spectateurs, réclamait leur concours
dans l'action qui allait se passer, et ajoutait un récit succinct de tous les
événements qu'on devait supposer antérieurs à cette action, ou même quelquefois
de ceux qu'on allait voir se développer dans la pièce. Quand on commença à
donner des drames en musique, on aurait dû, pour rester fidèle à la mode, les
faire précéder de prologues mêlés de chant. On introduisit à leur place
l'ouverture, morceau de musique confié à l'orchestre seul, et qui devait
précéder l'exécution du véritable drame. La manière dont furent conçues ces
premières introductions instrumentales donne à croire que les compositeurs
n'avaient nullement l'intention de satisfaire toutes les conditions de l'ancien
prologue. Elles étaient bien loin de donner par avance le sens de la pièce comme
le faisait le prologue. L'art de la musique instrumentale était alors encore si
borné que les compositeurs de ces époques n'avaient même pas à leur disposition
les premiers moyens de résoudre un semblable problème. En conséquence, ils se
contentèrent de donner un simple prélude musical qui ne devait servir à autre
chose qu'à préparer les spectateurs au chant qu'ils allaient entendre. Si l'on
n'avait déjà trop de raisons de reconnaître que la musique instrumentale de ce
temps était encore dans son enfance, on pourrait supposer peut-être qu'on
n'avait pas eu l'intention d'imiter le prologue, parce qu'on sentait combien peu
il était dramatique. Toujours est-il certain qu'on ne peut rien retrouver de
l'intention du prologue dans les premières ouvertures, si ce n'est peut-être
celle d'établir une transition par laquelle les auditeurs étaient introduits
dans le drame.
Ce ne fut que lorsqu'on eut été un peu familiarisé avec la musique instrumentale
que vint l'idée de donner à cette introduction musicale un caractère plus
déterminé qui s'accordât avec celui du drame qui allait suivre. Ce caractère ne
s'exprima guère que dans les traits principaux et se borna à reproduire ou
plutôt à faire pressentir la tendance triste ou gaie du sujet. Ces ouvertures étaient courtes, consistaient
souvent en un seul mouvement lent, et l'on peut retrouver les exemples les plus
frappants de ce mode de construction, quoique étendu considérablement, dans les
oratorios de Haendel. Le libre développement de l'ouverture fut paralysé par
cette fâcheuse circonstance qui arrêtait les compositeurs dans les premières
périodes de la musique, à savoir l'ignorance où ils étaient des procédés sûrs
par lesquels on peut, à l'aide des hardiesses légères et des successions de
fraîches nuances, étendre un morceau de musique de longue haleine. Cela ne leur
était guère possible qu'au moyen des finesses du contre point, la seule
invention de ces temps qui permît à un compositeur de dévider un thème unique en
un morceau de quelque durée. On écrivait des fugues instrumentales; on se
perdait dans les détours de ces curieuses monstruosités de la spéculation
artistique. La monotonie et l'uniformité furent les produits nets de cette
direction. Ces sortes de compositions étaient surtout impuissantes à exprimer un
caractère déterminé et individuel. Haendel lui-même ne paraît pas s'être
aucunement soucié que l'ouverture s'accordât exactement avec la pièce ou
l'oratorio. Il est par exemple impossible de pressentir par l'ouverture du
Messie qu'elle doit servir d'introduction à une création aussi fortement
caractérisée, aussi sublime que l'est ce célèbre oratorio.
On fut bien plus près de résoudre la question, quand on fit précéder les opéras
par des symphonies en trois parties. On tâcha d'exprimer - dans ces trois
divisions des caractères qui formaient contraste, et, plus tard, Mozart montra,
dans sa symphonie de l'Enlèvement du Sérail, jusqu'à quel point on peut réussir
à rendre ainsi par avance le sens d'un opéra. Cependant, il existe encore dans
cette distinction en trois parties, dont chacune exprime un caractère à part, au
moyen d'un mouvement musical différent, une sorte de gaucherie. Il s'agissait
donc désormais de réunir en un tout ce qui était isolé, et de relier dans un
seul morceau de musique qui se développât sans interruption, des caractères et
des contrastes. Les créateurs de la forme parfaite de l'ouverture furent Gluck
et Mozart. Gluck lui-même se contenta souvent encore de traiter l'ouverture
comme un morceau de musique qui devait introduire l'auditeur dans l'opéra, ou du
moins dans la première scène. Cependant, quoiqu'il parût la considérer dans ce
cas sous le rapport purement musical, et qu'il n'écrivît pas de conclusion
complète, il eut toujours à cœur de développer d'une manière indépendante, dès
le commencement de cette introduction instrumentale, le caractère dramatique de
l'opéra. L'ouverture d'Iphigénie en Aulide est la plus achevée que Gluck ait
écrite. Le maître a tracé ici en traits grandioses et puissants l'idée principale
du drame,
et l'a personnifiée avec la clarté de l'évidence. Nous reviendrons sur ce
chef-d'œuvre quand nous aurons à démontrer d'après ce magnifique exemple quelle
forme d'ouverture peut être tenue pour la plus parfaite. ***
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