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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Une visite à Beethoven (1/9) > Une visite à Beethoven (1/9)

UNE VISITE À BEETHOVEN

Episode de la vie d'un musicien allemand


« Pauvreté, dure indigence, compagne habituelle de l'artiste allemand, c'est à toi qu'en écrivant ici ces pieux souvenirs, je dois adresser mon invocation première. Je veux te célébrer, toi, ma patronne fidèle, qui m'as suivi constamment en tous lieux ; toi qui, de ton bras d'airain, m'as préservé des vicissitudes d'une fortune décevante, et qui m'as si bien abrité contre les rayons enivrants de son soleil, grâce au nuage épais et sombre dont tu as toujours voilé à mes regards les folles vanités de ce monde. Oui, je te remercie de ta sollicitude maternelle ; mais ne pourrais-tu pas désormais la pratiquer en faveur d'un nouveau protégé? car la curiosité m'aiguillonne, et je voudrais, ne fût-ce que pour un jour, essayer de l'existence sans ta participation. Pardonne, austère déesse, à cette velléité d'ambition ! Mais tu connais le fond de mon cœur, et tu sais quelle dévotion sincère j'aurai toujours pour ton culte, alors même que je cesserais d'être l'objet favori de ta prédilection. Amen ! »

L'adoption de cette prière quotidienne doit vous dire assez que je suis musicien, et que l'Allemagne est ma patrie. Une ville de moyenne importance me donna le jour. Je ne sais quelles étaient les vues de mes parents sur ma condition à venir ; mais ce que je me rappelle, c'est qu'un soir, ayant entendu une symphonie de Beethoven, j'eus dans la nuit un accès de fièvre, je tombai malade, et qu'après mon rétablissement je devins musicien. Cette circonstance peut expliquer la préférence que je donnai constamment dans la suite aux œuvres de Beethoven, quelque belle musique que j'aie maintes fois entendue. C'était pour moi une affection, une idolâtrie à part. Ma plus vive jouissance fut de me plonger dans l'étude intime, approfondie de ce puissant génie, jusqu'à ce que je crus m'être identifié pour ainsi dire avec lui, jusqu'à ce que mon esprit nourri d'inspirations de plus en plus sublimes me parût être devenu une parcelle de ce rare et merveilleux esprit, jusqu'à ce qu'enfin j'arrivai à cet état d'exaltation que bien des gens traitent de démence.

Folie bien tolérable pourtant, et bien inoffensive. Cela ne me procurait qu'un pain fort sec et une boisson fort crue ; car on ne s'enrichit pas en Allemagne à courir le cachet. Après avoir vécu de la sorte assez longtemps dans ma mansarde, je vins un jour à penser que le grand artiste, objet de ma profonde vénération, vivait encore, et j'eus peine à m'expliquer comment cette idée ne m'était pas venue plus tôt. Le fait est que jamais jusque-là je ne m'étais représenté Beethoven sous une forme humaine pareille à la nôtre, et soumis aux besoins et aux appétits de la nature. Et cependant il existait, il vivait à Vienne, et dans une condition à peu près semblable à la mienne. Dès lors je n'eus plus un instant de repos ; toutes mes pensées, tous mes désirs étaient dirigés vers un seul but : voir Beethoven. Nul musulman n'entreprit jamais le pèlerinage au tombeau du Prophète avec plus de foi ni d'ardeur que m'en inspirait mon projet. Mais comment m'y prendre pour le mettre à exécution ? C'était pour moi une grande affaire que d'aller à Vienne, car il fallait de l'argent pour le voyage, et, pauvre diable que j'étais, je gagnais à peine de quoi subvenir aux plus pressantes nécessités. Il fallait donc avoir recours à des moyens exceptionnels pour me procurer les fonds nécessaires, et ce fut dans ce but que j'allai proposer à un éditeur plusieurs sonates pour le piano que j'avais composées sur le modèle de celles de Beethoven. Le marchand me démontra en peu de mots que je n'étais qu'un fou avec mes sonates, et il me donna le conseil, si je voulais avec le temps gagner quelques écus avec ma musique, de me faire d'abord une petite réputation avec des galops et des pots-pourris. Je frémis d'indignation ; mais le désir passionné qui m'obsédait fit taire tous mes scrupules, et je me misa composer des galops et des pots-pourris.

Seulement je m'abstins dans l'intervalle de jeter un seul regard sur les partitions de Beethoven, car j'aurais cru commettre une profanation honteuse. Mais hélas ! je ne gagnai rien à avoir sacrifié ainsi mon innocence : l'honnête éditeur me déclara qu'il était indispensable de jeter préalablement les fondements de ma renommée par une ou deux publications gratuites. Je restai pour la seconde fois interdit, et je me retirai, le désespoir dans l'âme. Mais l'excès même du dépit et de la rage me devint propice, car je composai dans cet état plusieurs galops formidables qui me valurent enfin quelques honoraires, et je crus enfin en avoir assez recueilli pour me mettre en route. Deux ans s'étaient écoulés pourtant, et je tremblais sans cesse que Beethoven ne vînt à mourir avant que j'eusse fondé mon crédit sur le mérite de mes galops et de mes pots-pourris. Mais, Dieu soit loué, il avait attendu cette heure mémorable. O saint Beethoven ! pardonne-moi cette renommée indigne que je n'ai briguée que pour conquérir le bonheur et la gloire de te connaître.

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