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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'enfance (7/13) > L'enfance (7/13)

Parmi les fautes dont je me rendais le plus souvent coupable, il en était une pour laquelle j'avais un faible particulier. J'adorais la musique ; et de ce goût passionné qui a déterminé le choix de ma carrière sont sorties les premières tempêtes qui aient troublé ma jeune existence. Quiconque a été élevé dans un lycée connaît cette fête chère aux collégiens, la Saint-Charlemagne. C'est un grand banquet auquel prennent part tous les élèves qui, depuis la rentrée des classes, ont obtenu dans les compositions une place de premier ou deux places de second. Ce banquet est suivi d'un congé de deux jours qui permet aux élèves de découcher, c'est-à-dire de passer une nuit chez leurs parents : régal très rare, gâterie très enviée de part et d'autre. Cette fête tombait en plein hiver. J'eus, dans l'année 1831, la bonne fortune d'y être convoqué; et, pour me récompenser, ma mère me promit que j'irais, le soir, avec mon frère, au Théâtre-Italien, entendre Otello de Rossini. C'était la Malibran qui jouait le rôle de Desdemona ; Rubini, celui d'Otello ; Lablache, celui du père. L'attente de ce plaisir me rendit fou d'impatience et de joie. Je me souviens que j'en avais perdu l'appétit, si bien qu'à dîner ma mère me dit:
— Si tu ne manges pas, tu m'entends, tu n'iras pas aux Italiens !

Immédiatement je me mis à manger avec résignation. Le dîner avait eu lieu de très bonne heure, attendu que nous n'avions pas de billets pris à l'avance (ce qui eût coûté plus cher) et que nous étions obligés de faire queue pour tâcher d'attraper au bureau deux places au parterre, de 3 francs 75 centimes chacune, ce qui était déjà pour ma pauvre chère mère une grosse dépense. Il faisait un froid de loup ; pendant près de deux heures, mon frère et moi nous attendîmes, les pieds gelés, le moment, si ardemment souhaité, où la file commencerait à s'ébranler devant l'ouverture des bureaux. Nous entrâmes enfin. Jamais je n'oublierai l'impression que j'éprouvai à la vue de cette salle, de ce rideau, de ce lustre. Il me sembla que je me trouvais dans un temple, et que quelque chose de divin allait m'être révélé. La moment solennel arrive. On frappe les trois coups d'usage ; l'ouverture va commencer! Mon cœur bat à fendre ma poitrine. Ce fut un ravissement, un délire que cette représentation. La Malibran, Rubini, Lablache, Tamburini (qui jouait Iago), ces voix, cet orchestre, tout cela me rendit littéralement fou.

Je sortis de là complètement brouillé avec la prose de la vie réelle, et absolument installé dans ce rêve de l'idéal qui était devenu mon atmosphère et mon idée fixe. Je ne fermai pas l'oeil de la nuit; c'était une obsession, une vraie possession : je ne songeais qu'à faire, moi aussi, un Otello! (Hélas ! mes thèmes et mes versions s'en sont bien aperçus et ressentis!) J'escamotai mes devoirs dont je m'étais mis à ne plus faire le brouillon et que j'écrivais tout de suite au net, sur copie, pour en cire plus vite débarrassé, et pouvoir me livrer sans partage à mon occupation favorite, la composition, seul souci qui me parût digne de fixer ma pensée. Ce fut la source de bien des larmes et de gros chagrins. Mon maître d'étude, qui me voyait griffonner du papier de musique, s'approcha un jour de moi et me demanda mon devoir. Je lui présentai ma copie.
— Et votre brouillon? ajouta-t-il.
Comme je ne pus le lui montrer, il s'empara de mon papier de musique et le déchira en mille morceaux. Je récrimine ; il me punit ; je proteste ; j'en appelle au proviseur; retenue, pensum, séquestre, etc.

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