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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'Allemagne (1/4) > L'Allemagne (1/4)

III

L'ALLEMAGNE

Quittant Rome pour me rendre en Allemagne, j'avais ma route tracée tout naturellement par Florence et le nord de l'Italie, en inclinant sur la droite par Ferrare, Padoue, Venise et Trieste.

Je m'arrêtai à Florence, dont je n'entreprendrai pas de dresser l'inventaire. Florence est, ainsi que Rome, une ville inépuisable sous le rapport des œuvres d'art. Les Uffizi, avec leur admirable tribune (une vraie châsse de reliques du beau), le musée Pitti, l'Académie, les églises, les couvents regorgent de chefs-d'œuvre. Mais là encore, dans cette délicieuse ville de Florence, le sceptre est dans la main de Michel-Ange, qui domine tout du haut de cette merveilleuse et saisissante Chapelle des Médicis. La, comme à Rome, son génie a laissé sa trace unique, souveraine, incomparable.

Partout où on le rencontre, Michel-Ange impose le recueillement : dès qu'il parle, on sent qu'il faut se taire ; et cette suprême autorité du silence, il ne l'a peut-être exercée nulle part avec plus d'empire que dans cette crypte redoutable de la Chapelle des Médicis. Quelle prodigieuse conception que celle de ce Pensieroso, sentinelle muette qui semble veiller sur la mort et attendre, immobile, le clairon du Jugement ! Quel repos et quelle souplesse dans cette figure de la Nuit, ou plutôt de la Paix du sommeil, qui fait pendant à la robuste figure du Jour étendu et comme enchaîné jusqu'à l'aurore du dernier des jours! C'est par le sens profond, par l'altitude à la fois idéale et si naturelle, que Michel-Ange s'élève partout à cette intensité d'expression qui est le caractère propre de sa puissante individualité. L'ampleur de sa forme est comme le lit creusé par le fleuve majestueux de la pensée, et c'est ce qui condamne forcément à l'emphase et à la boursouflure toute imitation d'une enveloppe que son génie seul pouvait absoudre parce que seul il pouvait la remplir et la vivifier.

Mais je suis en route pour l'Allemagne, où le temps et l'argent me pressent d'arriver : il faut glisser rapidement sur Florence et sur les beaux souvenirs que j'en emporte. Je traverse Ferrare la déserte ; je m'arrête à Padoue un jour ou deux pour y visiter les belles fresques de Giotto et de Mantegna.

Mon séjour en Italie m'avait fait connaître les trois grandes villes qui sont les principaux foyers d'art de cette terre privilégiée : Rome, Florence et Naples ; Rome, la ville de l'âme ; Florence, la ville de l'esprit ; Naples, la ville du charme et de la lumière, de l'ivresse et de l'éblouissement. Il me restait à en connaître une quatrième, qui a tenu, elle aussi, une place immense et glorieuse dans l'histoire des arts, et à laquelle sa situation géographique a fait une physionomie exceptionnelle et unique au monde, Venise.

Venise, joyeuse et triste, lumineuse et sombre, rose et livide, coquette et sinistre, contraste permanent, assemblage étrange des impressions les plus opposées : une perle dans une sentine.

Venise est une enchanteresse. C'est la patrie des maîtres rayonnants : elle a ensoleillé la peinture.

Au rebours de Rome, qui vous attend, vous sollicite lentement et vous conquiert invinciblement et pour toujours, Venise vous saisit par les sens et vous fascine à l'instant même. Rome, c'est la sereine et la pacifiante ; Venise, c'est la capiteuse et l'inquiétante : l'ivresse qu'elle procure est mêlée (du moins l'a-t-elle été pour moi) d'une mélancolie indéfinissable comme serait le sentiment d'une captivité. Est-ce le souvenir des drames sombres dont elle a été le théâtre et auxquels sa situation même semble l'avoir prédestinée ? Cela peut être ; toujours est-il qu'un long séjour dans cette sorte de nécropole amphibie ne me paraît pas possible sans qu'on finisse par s'y sentir asphyxié et comme englouti par le spleen. Ces eaux dormantes dont le morne silence baigne le pied de tous les vieux palais, cette ombre lugubre du fond de laquelle on croit entendre sortir les gémissements de quelque victime illustre, font de Venise une espèce de capitale de la Terreur : elle a gardé l'impression du Sinistre. Et pourtant, par un beau soleil, quelle magie que ce Grand Canal ! Quel miroitement que ces lagunes où le flot se transforme en lumière ! Quelle puissance d'éclat dans ces vieux restes d'une ancienne splendeur qui semblent se disputer les faveurs de leur ciel et leur demander secours contre l'abîme dans lequel ils s'enfoncent chaque jour davantage pour disparaître enfin à jamais!

Rome est un recueillement ; Venise est une intoxication. Rome est la grande ancêtre latine qui, par la canalisation de la conquête, répandra sur le monde la catholicité du langage, prélude et moyen d'une catholicité plus vaste et plus profonde; Venise est une orientale, non grecque mais byzantine : on y songe aux satrapes plus qu'aux pontifes, au luxe de l'Asie plus qu'aux solennités d'Athènes ou de Rome.

Il n'y a pas jusqu'à cette merveille de l'église Saint-Marc qui ne tienne plutôt d'une mosquée que d'une basilique ou d'une cathédrale, et qui ne s'adresse à l'imagination plus encore qu'au sentiment et à l'âme. La magnificence de ces mosaïques et de cet or dont le chatoiement sombre ruisselle du haut de la coupole jusqu'à la base est quelque chose d'absolument unique au monde. Je ne sais rien de comparable comme vigueur de ton et puissance d'effet.

Venise est une passion ; ce n'est pas un amour. Je fus séduit en y entrant ; lorsque je la quittai, je n'éprouvai pas ce déchirement que j'avais ressenti en me séparant de Rome, et qui est le signe et la mesure des attaches et des racines.

Naples est un sourire de la Grèce : ses horizons noyés dans la pourpre et dans l'azur, son ciel bleu se reflétant dans des flots de saphir, tout, jusqu'à son ancien nom de Parthénope, tout vous replonge dans cette civilisation brillante à laquelle la nature avait préparé un cadre enchanteur. Tout autre est le sourire de Venise, à la fois caressant et perfide : c'est une fête au-dessus d'une oubliette. C'est pour cela, sans doute, que, sans m'en rendre compte, j'eus plutôt, en la quittant, l'impression d'une délivrance que celle d'un regret, malgré les chefs-d'œuvre qu'elle renferme et la magie dont elle est enveloppée.

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