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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - Le retour (1/8) > Le retour (1/8)

IV

LE RETOUR

Soit que ces trois ans et demi d'absence m'eussent beaucoup changé, soit que ma dernière et encore récente maladie jointe à la fatigue du voyage eût terriblement altéré mes traits, lorsque ma mère me revit elle ne me reconnut pas. J'avais, il est vrai, une ébauche de barbe, mais si peu qu'on en aurait, je crois, même compté les rudiments.

Ma mère avait, pendant mon absence, quitté la rue de l'Éperon, et elle était venue s'installer rue Vaneau, sur la paroisse dite des Missions étrangères, dont l'église fait le coin de la rue du Bac et de la rue de Babylone, et où m'attendait le nouveau poste que j'allais occuper pendant plusieurs années. Le curé de ladite paroisse, l'abbé Du marsais, avait été autrefois mon aumônier au lycée Saint-Louis. Il avait succédé, dans la cure des Missions, à l'abbé Lecourtier. Pendant mon séjour à l'Académie de France à Rome, l'abbé Dumarsais m'avait écrit pour me demander d'être, à mon retour à Paris, organiste et maître de chapelle de sa paroisse. J'avais accepté mais en posant mes conditions. J'entendais ne recevoir d'avis, encore moins d'ordres, ni du curé, ni de la fabrique, ni de qui que ce fût. J'avais mes idées, mon sentiment, mes convictions : en un mot, je serais le « curé de la musique »; sinon, non. C'était radical. Mes conditions avaient été acceptées ; cela ne devait pas faire un pli. Mais les habitudes sont tenaces. Le régime musical auquel mon prédécesseur avait accoutumé ces bons paroissiens était tout l'opposé des tendances que je rapportais de Rome et d'Allemagne. Palestrina et Bach étaient mes dieux, et je venais brûler ce qu'on avait adoré jusqu'ici.

Les ressources dont je disposais étaient à peu près nulles. En dehors de l'orgue, très médiocre et très limité, j'avais un personnel chantant qui se composait de deux basses, un ténor, un enfant de chœur; puis moi, qui remplissais à la fois les fonctions de maître de chapelle, d'organiste, de chanteur et de compositeur. Je travaillai donc en raison et en vue de ce maigre budget, et ce fut un bien que cette nécessité où je me trouvais de tirer le meilleur parti possible de moyens si restreints.

Les choses n'allèrent pas mal tout d'abord, mais, à une sorte de réserve et de froideur, je devinai que je n'étais pas absolument dans les bonnes grâces de mon auditoire. Je ne me trompais pas. Vers la fin de ma première année, mon curé me fit appeler et me confia qu'il avait à subir les plaintes et les récriminations de ses paroissiens, Monsieur tel, et madame telle, qui ne trouvaient pas que le service musical fût le moins du monde jovial et divertissant. Le curé m'invita donc à « modifier mon genre » et à « faire des concessions ».
— Monsieur le curé, lui répondis-je, vous savez quel est notre contrat ! Je ne viens pas consulter vos paroissiens ; je viens tâcher de les édifier. Si mon genre ne leur convient pas, la situation est bien simple : je me retire, vous rappelez mon prédécesseur, et tout le monde est content. C'est à prendre ou à laisser.
— Eh bien ! me dit le curé, c'est très bien ; c'est entendu, j'accepte votre démission.
Et là-dessus, nous nous quittons les meilleurs amis du monde.

Je n'étais pas rentré chez moi depuis une demi-heure que le domestique du curé sonnait à ma porte.
— Eh bien ! Jean, qu'y a-t-il?
— Monsieur, c'est M. le curé qui voudrait vous parler.
— Ah!... C'est bien, Jean, dites que j'y vais.
J'arrive chez le curé, qui reprend la conversation en me disant :
— Voyons, voyons, mon cher enfant, vous avez jeté le manche après la cognée, tout à l'heure ; est-ce qu'il n'y a pas moyen de s'entendre? Examinons la question avec calme. Vous êtes parti là comme la poudre !...
— Monsieur le curé, c'est inutile de recommencer cette discussion ; je maintiens tout ce que j'ai dit. S'il me faut essuyer les objections du tiers et du quart, il n'y a pas moyen de rien faire ; ou bien je reste avec une indépendance complète, ou bien je m'en vais : ce sont là nos conventions, vous le savez, et je n'en rabattrai rien.
— Ah ! mon Dieu, dit-il, quel terrible homme vous faites !
Puis, après une pause :
— Eh bien, allons, restez.

Et à partir de ce jour, il ne m'en reparla plus et me laissa la plus parfaite liberté d'action. Depuis lors, mes opposants les plus déterminés devinrent peu à peu mes plus chauds partisans, et mes petits appointements se ressentirent, par suite, de ce progrès dans la sympathie de mes auditeurs. J'étais entré à douze cents francs par an : ce n'était guère ; la seconde année, on m'accorda une augmentation de trois cents francs ; la troisième, j'eus dix-huit cents francs, et la quatrième deux mille cent. — Mais je ne veux pas anticiper sur l'ordre des événements.

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***

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