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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'enfance (6/13) > L'enfance (6/13)

Les bons renseignements sous la protection desquels je quittais l'institution Hallays-Dabot avaient contribué à me faire obtenir un « quart de bourse » au lycée Saint-Louis. J'y entrai dans ces conditions, à la rentrée des vacances, c'est-à-dire au mois d'octobre 1829. Je venais d'avoir onze ans.

Le proviseur du lycée était alors un ecclésiastique, l'abbé Ganser, homme doux, grave, recueilli, paternel avec ses élèves. Je fus admis de suite dans la classe désignée sous le nom de sixième. J'eus le bonheur d'avoir, dès le début, pour professeur, l'homme que j'ai sans contredit le plus aimé pendant la durée de mes études, mon cher et vénéré maître et ami, Adolphe Régnier, membre de l'Institut, qui fut le précepteur et est resté l'ami de monseigneur le comte de Paris.

Je n'étais pas un mauvais élève, et mes maîtres m'ont généralement aimé ; mais j'étais d'une légèreté terrible et je me faisais souvent punir pour ma dissipation, plutôt cependant à l'étude qu'en classe.
J'ai dit que j'étais entré à Saint-Louis avec « quart de bourse », c'est-à-dire un quart de moins à payer du prix de la pension. C'était à moi de parvenir, peu à peu, par mes bonnes notes de conduite et de travail, à dégrever ma mère de ce que lui coûtait le collège, en obtenant graduellement la « demi-bourse », puis les trois quarts, puis enfin la « bourse entière » ; et, comme j'adorais ma mère, et que mon plus grand bonheur aurait été de lui venir en aide par mon application, il semble que cette pensée n'eût pas dû m'abandonner un instant. Mais, hélas! le naturel! chassez-le, il revient au galop!... Et le mien galopait fort souvent!... trop souvent.

Un jour, je fus puni, je ne sais plus pour quelle peccadille de distraction, ou de devoir non achevé, ou de leçon non sue. La punition me parut sans doute excéder la faute, car je protestai, ce qui me valut un tel surcroît de pénitence que je fus conduit au séquestre, c'est-à-dire au cachot où je devais vivre de pain et d'eau jusqu'à ce que j'eusse achevé un énorme pensum, consistant en je ne sais combien de lignes à écrire : cinq cents ou mille; une ineptie. Quand je me vis en prison, oh! alors, je me fis reflet d'un criminel. Les Euménides criant à Oreste : « Il a tué sa mère ! » ne devaient pas être plus effroyables que les pensées qui m'assaillirent au moment où l'on m'apporta le pain et l'eau du condamné. Je regardai mon morceau de pain et je fus pris d'un débordement de larmes. « Gredin, scélérat, infâme, me dis-je à moi-même, ce morceau de pain, c'est le travail de ta pauvre mère qui te le gagne! ta mère qui va venir te voir à l'heure de la récréation et à qui on va répondre que tu es en prison, et elle va pleurer dans la rue en s'en revenant chez elle sans t'avoir vu ni embrassé! Va, tu n'es qu'un misérable, et tu n'es même pas digne de manger ce pain-là. »

Et je laissai mon pain.

Cependant, rentré dans le courant ordinaire, je travaillais passablement ; et, grâce aux prix que je remportais chaque année, je m'acheminais vers l'obtention de cette « bourse entière », objet de tous mes vœux.

Il y avait, au lycée Saint-Louis, une chapelle dans laquelle tous les dimanches on exécutait une messe en musique. La tribune était coupée en deux et occupait toute la largeur de la chapelle. Dans l'une des deux moitiés se trouvaient l'orgue et les bancs réservés aux chanteurs. Le maître de chapelle, à l'époque où j'entrai au lycée, était Hippolyte Monpou, alors attaché comme accompagnateur à l'école de musique de Choron, et qui depuis se fit connaître par plusieurs mélodies et œuvres de théâtre qui rendirent son nom assez populaire.

Grâce à l'éducation musicale que j'avais reçue de ma mère dès ma plus tendre enfance, je lisais la musique à première vue ; j'avais, en outre, une voix très jolie et très juste ; et, lorsque j'entrai au collège, on ne manqua pas de me présenter à Monpou qui fut émerveillé de mes dispositions et me désigna immédiatement comme soprano solo de sa petite troupe musicale qui consistait en deux premiers dessus, deux seconds, deux ténors et deux basses.

Une imprudence de Monpou me fit perdre la voix. Au moment de la mue, il continua à me faire chanter, en dépit du silence et du repos commandés par cette phase de transformation des cordes vocales, et, depuis lors, je ne retrouvai ni cette force, ni cette sonorité, ni ce timbre, que je possédais étant enfant et qui constituent les véritables voix ; la mienne est restée couverte et voilée. J'eusse fait, je crois, sans cet accident, un bon chanteur.

La Révolution de 1830 mit fin au provisorat de l'abbé Ganser. Il fut remplacé par M. Liez, ancien professeur au lycée Henri IV, très attaché au nouveau régime, zélé partisan des exercices militaires qui s'introduisirent alors dans les collèges, et auxquels il assistait la tête haute, la main droite passée à la Napoléon dans les boutons de sa redingote, dans une attitude de sergent instructeur ou de chef de bataillon.

Au bout de deux ans, M. Liez fut lui-même remplacé par M. Poirson, sous le provisorat duquel commencent les événements qui ont décidé de la direction de ma vie.

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