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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII (3/4) > M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII (3/4) Le second acte se passe dans le parc de Richmond. Il s'ouvre par un délicieux
prélude d'une instrumentation fine et transparente, introduisant un thème
ravissant qui reparaîtra plus loin dans le dernier ensemble du duo entre le roi
et Anne de Boleyn, un des morceaux les plus saillants de la partition.
Après un monologue de Don Gomez, dans lequel on rencontre de beaux accents
de déclamation, paraît Anne de Boleyn, accompagnée de dames de la cour qui lui
offrent des fleurs, page remplie de charme et de distinction. Vient ensuite une
scène rapide entre Anne et Don Gomez ; puis le grand duo entre Anne et le roi.
Ce duo est un morceau capital. On y sent circuler partout une sensualité
impatiente, noyée dans une instrumentation pleine de caresses félines. Le
dernier ensemble de ce duo est exquis et d'un charme de sonorité incomparable.
L'air qui suit : « Reine ! je serai reine ! » est d'un beau caractère
d'orgueilleux enivrement. Dans le duo entre Anne de Boleyn et Catherine
d'Aragon, l'on remarque les accents tour à tour pleins de clémence et de fierté
de la noble et malheureuse reine.
Le troisième acte représente la salle du synode, et s'ouvre par une marche
processionnelle d'un caractère majestueux qui
accompagne le défilé de la cour et des juges. Alors commence un grand et superbe
ensemble : « Toi qui veilles sur l'Angleterre! », après lequel Henri VIII
s'adresse à l'assemblée synodale : « Vous tous qui m'écoutez, gens d'église et
de loi ! » Catherine, très émue, pouvant à peine parler, s'avance vers le roi et
le supplie d'avoir pitié d'elle. Ce morceau, dans lequel intervient le chœur,
est d'un sentiment des plus vrais et des plus touchants. Devant le dédain cruel
du roi pour la pauvre reine, Don Gomez se lève et déclare qu'il prend, comme
Espagnol, la défense de celle dont il est le sujet. Henri VIII s'indigne et en
appelle à son peuple, « les fils de la noble Angleterre », qui se proclament
prêts à accepter les décrets du Ciel, décrets dont l'archevêque de Cantorbéry va
être l'organe : « Nous déclarons nul et contraire aux lois l'hymen à nous soumis
! » Catherine se révolte, et,
dans un superbe élan de fierté, elle s'écrie: « Peuple, que de ton roi déshonore
le crime, tu ne te lèves pas! » Cette page est remarquable et laisse une
impression profonde. Catherine en appelle au jugement de la postérité. Elle sort
avec Don Gomez.
Paraît le légat, et alors commence la grande scène qui termine le troisième
acte.
Le légat tient en main la bulle du Saint-Père :
Au nom de Clément VII, pontife souverain...
Le roi, poussé à bout, ordonne qu'on ouvre les portes du palais et qu'on fasse
entrer le peuple :
Vous plaît-il recevoir des lois de l'étranger ?
Non ! Jamais!
Vous convient-il
qu'un homme Dont le vrai pouvoir est à Rome
Sur mon trône m'ose outrager ? Non !
jamais!
Et le roi se proclame chef de l'Eglise de l'Angleterre ; et pour sa femme il
prend
dame Anne de Boleyn, marquise de Pembroke !
Toute cette scène, magistralement conduite, se termine par un grand et pompeux
ensemble :
C'en est donc fait ! Il a brisé sa chaîne!
ensemble dont le thème est le chant national, exposé par le prélude
d'introduction qui sert d'ouverture.
Le quatrième acte est aussi divisé en deux tableaux, dont le premier est la
chambre d'Anne de Boleyn. Au lever du rideau, les musiciens exécutent en scène
un gracieux divertissement dansé, pendant lequel Norfolk et Surrey se livrent
à un a parte très ingénieusement combiné avec la musique de danse.
La scène suivante, entre Anne et Don Gomez, contient un charmant cantabile
chanté avec beaucoup d'expression par M. Dereims.
Un dialogue entre le roi et Don Gomez termine le premier tableau.
Le second tableau représente une vaste pièce des appartements de la reine
Catherine, reléguée au château de Kimbolton. Toute cette fin de l'œuvre de M.
Saint-Saëns est absolument d'un maître ; le souffle des chefs-d'œuvre a passé
là.
Le monologue de la reine est d'un accent de douleur, d'une expression, d'une
vérité de déclamation admirables.
La reine distribue ensuite, comme souvenirs, aux femmes qui l'entourent,
quelques-uns des objets qui lui ont appartenu. Cette toute petite scène intime
est très grande par le sentiment profond que l'auteur y a répandu, tant la
vérité agrandit tout ce qu'elle touche.
Vient ensuite la magnifique scène entre Catherine et Anne de Boleyn ; il y a
là des accents d'indignation superbes, que mademoiselle Krauss a compris et rendus en tragédienne consommée dont le jeu atteint
une puissance d'expression saisissante.
La dernière page de ce second et dernier tableau est ce qu'on nomme, en langage
de théâtre, le clou de la pièce. C'est irrésistible, et le rideau ne peut tomber
sur rien de plus empoignant. Situation, musique, chant et jeu des interprètes,
tout contribue à l'impression puissante de cette admirable scène qui a soulevé
les applaudissements de toute la salle.
Tel est, autant du moins qu'un exposé aussi rapide en puisse donner l'idée, le
nouvel ouvrage de M. Camille Saint-Saëns. ***
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