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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII (4/4) > M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII (4/4) Parmi les interprètes qui, tous, se
sont montrés à la hauteur de leur tâche, il convient de citer, en première
ligne, ceux à qui sont échus les trois plus grands rôles : Mademoiselle Krauss
(Catherine d'Aragon), mademoiselle Richard (Anne de Boleyn),
M. Lassalle (Henri VIII). Puis M. Boudouresque (le légat du Pape), M. Dereims (Don Gomez),
M. Lorrain (Norfolk), M. Sapin (Surrey), M. Gaspard (l'archevêque de Cantorbéry).
Mademoiselle Krauss est d'une grandeur, d'une noblesse, d'une dignité
souveraines. Gomme actrice et comme cantatrice, elle a déployé, dans ce rôle de
Catherine d'Aragon, une puissance pathétique merveilleuse ; elle a, en
particulier, joué, chanté, souffert, pendant tout le dernier tableau, avec une
vérité et une intensité d'expression à rendre la réalité positivement
suffocante. Ah ! la grande artiste! quel répertoire elle soutient! quelle
vaillance elle apporte à tous ses rôles ! quelle place elle occupe ! — et quel
vide laisserait son départ!...
Mademoiselle Richard a trouvé, dans Anne de Boleyn, l'occasion de faire valoir
tout le charme de son bel et généreux organe dont
rien, dans cette sage et saine musique, ne surmène la moelleuse sonorité.
M. Lassalle a donné au rôle d'Henri VIII tout l'intérêt de sa diction si
franche, de son articulation si claire, de son jeu tour à tour sombre et
passionné, et de cette voix privilégiée qui possède à un égal degré toutes les
ressources de la puissance et de la douceur.
M. Boudouresque semble être né
cardinal ; n'en déplaise au diabolique Bertram et au huguenot Marcel qu'il
représente avec tant de talent, on le dirait mis au monde pour jouer les princes
de l'Église, témoin Brogni, dans la Juive, et le légat du pape auquel il a
donné, dans Henri VIII, un caractère imposant. M. Dereims s'est fait remarquer,
dans le rôle de Don Gomez, par ses qualités de charme et d'élégance.
L'orchestre, sous la conduite de M. Altès, a été admirable, ainsi que les chœurs
si soigneusement instruits et dirigés par M. Jules Cohen.
M. Vaucorbeil a bien aussi sa belle part dans cette affaire. Il a cru en M.
Saint-Saëns et, dès son avènement à la direction de l'Opéra, il exprimait son
désir de lui ouvrir les portes de notre première scène lyrique. Il a déployé,
comme toujours, sa sollicitude intelligente et dévouée de directeur artiste au
service de ce noble et sérieux ouvrage, auquel un autre véritable artiste, M.
Régnier, a consacré toute l'expérience scénique de sa longue et brillante
carrière de comédien.
Voilà donc, mon cher Saint-Saëns, ton nom désormais attaché à l'une des œuvres
qui auront le plus honoré l'art français et notre Académie nationale de musique.
Pour ceux qui t'ont connu enfant (et je suis un de ceux-là), ta destinée était
certaine ; tu n'as pas eu d'enfance musicale. Infatigablement couvé par ton
intelligente et généreuse mère, tu as eu, tout de suite, pour
nourriciers les maîtres du grand art; ils t'ont fait robuste et ferme dans ta
voie, Depuis longtemps déjà, la renommée avait devancé pour toi cette popularité
dont le théâtre semble avoir le privilège exclusif; il ne manquait plus à ton
autorité que la consécration d'un éclatant succès dramatique ; tu la tiens
aujourd'hui.
Va donc maintenant, cher grand musicien ; ta cause est victorieuse sur toute
la ligne. Parce que tu as été fidèle à ton art, l'avenir sera fidèle à ton
œuvre. Dieu t'a donné la lumière et la main d'un maître : qu'il te les conserve
longtemps, pour toi comme pour nous tous. ***
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