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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII (2/4) > M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII (2/4) M. Saint-Saëns est une des plus étonnantes organisations musicales que je connaisse. C'est un musicien armé de
toutes pièces. Il possède son métier comme personne; il sait les maîtres par
cœur; il joue et se joue de l'orchestre comme il joue et se joue du piano, —
c'est tout dire. Il est doué du sens descriptif à un degré tout à fait rare; il
a une prodigieuse faculté d'assimilation : il écrirait, à volonté, une œuvre à
la Rossini, à la Verdi, à la Schumann, à la Wagner; il les connaît tous à fond,
ce qui est peut-être le plus sûr moyen de n'en imiter aucun. Il n'est pas agité
par la crainte de ne pas produire d'effet (terrible angoisse des pusillanimes);
jamais il n'exagère; aussi n'est-il ni mièvre, ni violent, ni emphatique. Il use
de toutes les combinaisons et de toutes les ressources sans abuser ni être
l'esclave d'aucune.
Ce n'est point un pédant, un solennel, un transcendanteux; il est resté bien
trop
enfant et devenu bien trop savant pour cela. Il n'a pas de système ; il n'est
d'aucun parti, d'aucune clique : il ne se pose en réformateur de quoi que ce
soit: il écrit avec ce qu'il sent et ce qu'il sait. Mozart non plus n'a rien
réformé ; je ne sache pas qu'il en soit moins au sommet de l'art. Autre mérite
(sur lequel j'insiste, par le temps qui court), M. Saint-Saëns fait de la
musique qui va en mesure et qui ne s'étale pas à chaque instant sur ces ineptes
et odieux temps d'arrêt avec lesquels il n'y a plus d'ossature musicale
possible, et qui ne sont que de l'affectation et de la sensiblerie. Il est
simplement un musicien de la grande race : il dessine et il peint avec la
liberté de main d'un maître ; et, si c'est être soi que de n'imiter personne, il
est assurément lui.
Je n'ai point à raconter ici, par le menu, le livret de l'opéra Henri VIII :
tous les
comptes rendus de la première représentation se sont chargés de ce soin. Au
demeurant, tout le monde connaît l'histoire
— j'allais dire de ce pourceau couronne,
— de ce Barbe-Bleue émérite, doublé d'un pitoyable et vaniteux théologien. A son
ambition, il ne fallait rien moins que la tiare, et le pape le troublait, pour
le moins, autant que les femmes et la boisson. Mais il n'y a ni tempête ni
menace qui tienne ; en fait de rodomontades, la papauté en a vu de toutes les
couleurs, ce qui ne l'a pas empêchée de dormir en paix dans sa barque
insubmersible.
M. Saint-Saëns n'a pas écrit d'ouverture. Ce n'est certes pas que la science
symphonique lui fasse défaut ; il l'a prouvé surabondamment. L'ouvrage débute
par un prélude basé sur un thème anglais qui se reproduira comme thème principal
du
finale du troisième acte.
Ce prélude s'enchaîne, sans interruption, avec le drame. Dès la première scène,
entre Norfolk et Don Gomez, l'ambassadeur d'Espagne à la cour d'Henri VIII, se
trouve un charmant cantabile « La beauté que je sers », phrase pleine de
jeunesse dont la terminaison, sur les mots « Bien que je ne la nomme pas », est
ravissante de simplicité. On remarque surtout, dans le premier acte, un chœur de
seigneurs s'entretenant de la condamnation de Buckingham ; une cantilène du
roi: « Qui donc commande quand il aime ? » phrase pleine de vérité d'expression
; l'entrée d'Anne de Boleyn, sur une gracieuse ritournelle amenant un chœur de
femmes très élégant : « Salut à toi qui nous viens de la France ! » auquel
succède une page tout à fait remarquable scéniquement et musicalement, — c'est
la marche funèbre accompagnant Buckingham à sa dernière demeure, sur le
chant du De Profundis supérieurement combiné avec les apartés d'Henri VIII et
d'Anne sur le devant de la scène, pendant que l'orchestre murmure, en même temps
que le roi, à l'oreille de la jeune dame d'honneur, la phrase caressante qui se
reproduira dans le cours de l'ouvrage : « Si tu savais comme je t'aime! » Cette
belle scène s'achève dans un magistral ensemble de grande envergure dramatique,
qui couronne noblement le premier acte. ***
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