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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'enfance (5/13) > L'enfance (5/13) En 1825, ma mère tomba malade. J'avais, à cette époque, près de sept ans. Son
médecin, depuis plusieurs années, était le docteur Baffos, qui m'avait vu
naître, et qui était devenu le médecin de notre famille après le docteur Halle,
et a sa recommandation. Baffos, voyant dans ma présence à la maison un surcroît
de fatigue pour ma mère, dont la journée se passait à donner des leçons chez
elle, suggéra l'idée de me faire conduire, chaque malin, dans une pension, où
l'on venait me reprendre avant le dîner.
La pension choisie fut celle d'un certain M. Boniface, rue de Touraine, près
l'Ecole de médecine, et non loin de la rue des Grands-Augustins où nous
demeurions. Cette pension fut transférée, peu de temps après, rue de Condé,
presque en face du théâtre de l'Odéon. C'est là que je vis pour la première fois
Duprez, qui devait être, un jour, le grand ténor que chacun sait et qui brilla
d'un éclat si vif sur la scène de l'Opéra. Duprez, qui a environ neuf ans de
plus que moi, pouvait donc avoir alors seize ou dix-sept ans. Il était élève de
Choron, et venait dans la pension Boniface comme maître de solfège. Duprez,
s'étant aperçu que je lisais la musique aussi aisément qu'on lit un livre, et
même beaucoup plus couramment que je ne la lirais sans doute aujourd'hui,
m'avait pris en affection toute particulière. Il me prenait sur ses genoux, et,
quand mes petits camarades se trompaient, il me disait :
— Allons, petit, montre-leur comment il faut faire.
Lorsque, bien des années plus tard, je lui rappelai ces souvenirs, si
lointains pour lui comme pour moi, il en fut frappé et me dit :
— Comment! c'était vous, ce petit gamin qui solfiait si bien!...
Cependant, j'approchais de l'âge où il allait falloir songer à me faire
aborder le travail dans des conditions un peu plus sérieuses que dans une maison
qui ressemblait plutôt à un asile qu'à une école. On me fit donc entrer comme
interne dans l'institution de M. Letellier, rue de Vaugirard, au coin de la rue
Férou. A M. Letellier succéda bientôt M. de Reusse, dont je quittai la maison au
bout d'un an pour entrer dans la pension Hallays-Dabot, place de l'Estrapade,
près du Panthéon.
Je me rappelle M. Hallays-Dabot et sa femme aussi clairement, aussi
distinctement que si je les avais devant les yeux. Il est difficile d'imaginer
un accueil plus affectueux, plus bienveillant, plus tendre que celui que je
reçus d'eux; j'en fus tellement touché que celle impression suffit pour dissiper
instantanément toutes mes craintes, et pour me faire accepter avec confiance
cette nouvelle épreuve d'un régime pour lequel je m'étais senti une répugnance
insurmontable. Il me sembla que je retrouvais presque un père et qu'auprès de
lui je n'avais rien à craindre.
En effet, des deux années que j'ai passées dans sa maison, je n'ai gardé
aucun souvenir pénible. Son affection pour moi ne s'est jamais démentie; j'ai
constamment trouvé en lui autant d'équité que de bonté ; et, lorsqu'à l'âge de
onze ans, il fut décidé que j'entrerais au lycée Saint-Louis, M. Hallays-Dabot
me donna un certificat si flatteur que je m'abstiendrai de le reproduire. J'ai
regardé comme un devoir de faire ici acte de reconnaissance envers ce qu'il a
été pour moi. ***
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