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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'enfance (4/13) > L'enfance (4/13) Ceux qui liront ce récit seront sans doute surpris que je n'aie rien dit
encore de mon frère. Cela tient à ce que son souvenir ne se rattache à aucun de
ceux de ma première enfance. Ce n'est guère qu'à partir de l'âge de six ans que
je lui vois prendre place dans ma vie et dans ma mémoire.
Mon frère, Louis-Urbain Gounod, était né le 13 décembre 1807. Il avait donc
dix ans et demi de plus que moi.
Vers l'âge de douze ans, mon frère était entré au lycée de Versailles, où il
resta jusque vers dix-huit ans. C'est de Versailles que date le premier souvenir
que j'aie gardé de ce frère excellent, qui devait m'être enlevé au moment où je
pouvais apprécier la valeur d'un tel ami.
Mon père avait été appelé par le roi Louis XVIII aux fonctions de professeur
de dessin des Pages. Le roi, qui aimait beaucoup mon père, l'avait autorisé à
occuper, pendant le temps que nous passions à Versailles, un logement situé dans
les vastes bâtiments du n° 6 de la rue de la Surintendance, laquelle s'étend de
la place du Château à la rue de l'Orangerie.
Notre appartement, que je vois encore, et où l'on montait par une quantité
d'escaliers d'une disposition bizarre, donnait sur la pièce d'eau des Suisses et
sur les grands bois de Satory. Tout le long de l'appartement, régnait un
corridor qui me semblait à perte de vue et qui allait rejoindre le logement
occupé par la famille Beaumont, dans laquelle je rencontrai l'un de mes premiers
compagnons d'enfance, Edouard Beaumont, qui devait se faire, plus lard, un nom
distingué comme peintre. Le père d'Edouard était sculpteur, et restaurateur des
statues du château et du parc de Versailles; c'est en cette qualité qu'il
occupait le logement faisant suite au nôtre.
A la mort de mon père, en 1823, on avait conservé à ma mère le droit de
séjourner, aux vacances de chaque année, dans les bâtiments de la Surintendance.
Cette faveur continua de lui être accordée sous le règne du roi Charles X, c'est-à-dire
jusqu'en 1830, et fut retirée à l'avènement de Louis-Philippe. Mon frère qui
était, comme je l'ai dit, au lycée de Versailles, passait au milieu de nous tout
le temps de ses vacances.
Il y avait un vieux musicien nommé Rousseau qui était maître de chapelle du
château de Versailles. Rousseau jouait du violoncelle (de la basse, comme on
disait alors), et ma mère avait fait donner par lui des leçons de violoncelle à
mon frère, qui était doué d'une voix charmante et chantait souvent aux offices
de la chapelle du château.
Je ne saurais dire si ce vieux père Rousseau jouait bien ou mal de la basse ;
mais ce que je me rappelle, c'est que mon frère me faisait l'effet d'être assez
peu habile sur la sienne ; et, comme je ne pouvais me rendre compte de ce que
c'était qu'un commençant, je me figurais, instinctivement, que, dès qu'on jouait
d'un instrument, on ne devait pas pouvoir faire autrement que d'en jouer juste.
L'idée qu'on pût jouer faux n'entrait même pas dans ma petite tête.
Un jour, j'entendis, de ma chambre, mon frère qui était en train d'étudier sa
basse dans la pièce voisine. Frappé de la quantité de passages plus que douteux
dont mon oreille avait eu à souffrir, je demandai à ma mère :
— Maman, pourquoi donc la basse d'Urbain est -elle si fausse ?
Je ne me rappelle pas quelle fut sa réponse, mais, à coup sûr, elle a dû
s'égayer de la naïveté de ma question.
J'ai dit que mon frère avait une très jolie voix : outre que j'ai pu en juger
plus tard par moi-même, je l'ai entendu dire à Wartel, qui avait souvent chanté
avec lui à la chapelle royale de Versailles, et qui, après avoir été à l'école
de musique de Choron, fit partie de la troupe de l'Opéra du temps de Nourrit, el
acquit ensuite, dans le professorat, une grande et légitime réputation.
***
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