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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - Lettres > Lettres

III

A MONSIEUR LEFUEL, ARTISTE

à Nice-Maritime (poste restante)1

Rome, le 21 juin (lundi).

Cher bon ami,

comme il est bien plus naturel de voir un enfant se presser de répondre à son père qu'un père à son enfant, je commencerai par m'excuser de ne t'avoir pas accusé plus tôt réception de ta dernière lettre datée de Mantoue. Mais c'est bien malgré moi, je t'assure. J'ai eu beaucoup à écrire tous ces derniers temps, et je n'ai pas encore fini. C'est vraiment quelquefois très occupant et même autre chose que d'avoir à reconnaître seul par écritures l'intérêt que quelques personnes se contentent très bien de vous faire témoigner par d'autres, et dont on ne peut pas rendre, soi, les remerciements en même monnaie. Enfin il faut encore se trouver fort heureux de cet intérêt-là, et ne pas faire son dégoûté devant un peu d'activité : sans quoi les autres diraient : « Il est bien facile de lui retirer tout cet embarras », n'est-ce pas, cher ami? Aussi je ne dis cela qu'à toi ou qu'à des amis en lesquels je me confierais de même.

Je te dirai que j'ai fait auprès de Gruyère la commission relative à ton habit autour duquel nous avons si longtemps brûlé, comme lorsqu'on cherche quelque chose à cache-cache. Cet habit a enfin revu le jour et n'était détérioré ni par de mauvais plis, ni par des vers ou des papillons.

J'ai fait aussi tes amitiés à nos camarades qui n'ont pas manque de me demander d'où j'avais reçu une lettre de toi. J'ai répondu qu'elle me venait de Mantoue. Alors se sont élevées maintes conversations particulières et générales sur ta position comme pensionnaire favorisé, surtout depuis que la même faveur a été refusée à Gruyère, qui avait également demandé à faire un voyage, et qui prétend avoir allégué de très bons motifs. Je n'ai pas voulu parler longuement de toi pour ne pas échauffer les opinions qui nous étaient défavorables, mais j'ai seulement relevé à l'instant un mot d'un pensionnaire que je ne nommerai pas, mais qui, parlant de la faveur qui déjà t'avait été accordée l'an passé pour Naples, présentait ta conduite comme peu délicate et peu franche en allant à Florence d'abord. Je me suis borné à exclure de toute ma force cette opinion-là sans vouloir nullement me lancer dans une discussion qui aurait pu devenir une dispute. Et puis, cher Hector, si tu savais que de choses, depuis ton départ, se sont passées dans les caractères de bien des gens ! Si cela ne change pas, je ne doute point qu'a ton retour tu ne trouves des individus qui font ce qu'on appelle leur tête. Je ne suis pas le seul à t'avoir remarqué, et je ne pense pas que cela doive t'échapper non plus.

Quant à moi, dans dix jours je pars pour Naples, et je compte rester un mois et demi, deux mois, non pas à Naples même, mais dans le royaume et dans les îles ; pour le mois de septembre, je le passerai sans doute à Frascate pour bien revoir à cette époque et pour la dernière fois ce magnifique Monte Cavi dont je voudrais bien faire quelques études.

Si tu m'écris pendant mon voyage, adresse ta lettre poste restante à Naples. Quand je serai en ville, je la prendrai moi-même; sinon je me la ferai envoyer où je serai.

J'ai fait dernièrement une tournée d'une dizaine de jours dans la montagne du côté de Subiaco, Civitella, Olevano ; j'y ai vu de très belles choses comme pays : mais de tout, ce qui m'a le plus intéressé, c'est le couvent de San Benedetto à Subiaco. J'ai vu là des choses et j'ai éprouvé des émotions que je n'oublierai jamais de ma vie. J'ai reçu dernièrement des nouvelles de chez moi : on va bien et on t'envoie mille affectueux souvenirs. On me dit qu'Urbain a adressé une lettre à Gênes de manière que tu pusses l'y trouver le 15 du mois : je ne sais sur quoi il a jugé que tu serais à Gênes à cette époque, mais en tout cas, il me semble qu'il s'est trompé de quelque peu dans ses calculs. Au reste il vaut mieux qu'elle soit arrivée avant toi qu'après ; outre que tu es sûr de la trouver en quittant Milan, tu pourrais au besoin te la faire envoyer si tu avais quelqu'un de connaissance. Ensuite ma mère me dit que Blanchard a eu l'extrême gracieuseté de faire pour Urbain un petit dessin de ton portrait, ce qui a excessivement touché la mère et le frère. Ce beau Blanchard, à ce que me dit ma mère, avait eu la fièvre très forte à Paris depuis son retour, mais il va beaucoup mieux maintenant. Il a dîné a la maison plusieurs fois depuis son retour à Paris, et ma mère me dit qu'il est fort aimable, qu'il a de bonnes manières et qu'il lui plaît parce qu'il lui a paru fort bon.

Tu sais sans doute, si quelque journal français t'est tombé sous la main, que notre Jules Richomme n'est pas reçu en loge ; cette nouvelle m'a causé une vive peine pour lui et pour sa famille, qui désirerait tant le voir remporter le grand prix et venir à Rome. Pour moi je suis sûr maintenant de le revoir à Paris ; parce que, eût-il même le prix l'année prochaine, il ne partirait en tout cas qu'après l'époque de mon retour.

Et toi, cher ami, où en sont tes travaux? Il me semble que tes cartons doivent fièrement se remplir. Ecris-moi tout cela : comment tu te portes, ce que tu fais: bien que je ne sois pas tout à fait apte à le comprendre, je crois que mon avidité à savoir tout ce qui te plaît et ce que tu aimes, m'ouvrira la comprenette jusqu'à un certain point. Au reste je m'en remets absolument à toi pour le compte rendu sous ce rapport : tant que cela ne te coûtera ni trop de temps, ni trop d'ennui, donne toujours.

Adieu, cher Hector, porte-toi bien, et aime-moi toujours, parce que c'est une bonne œuvre que tu fais, et que cela te sera rendu de bien des manières.

Sois aussi exact à me donner tes adresses successives que je le serai à te donner la mienne pendant et après mon voyage.

Je t'embrasse de tout mon cœur de fils.

CHARLES GOUNOD.

1. Cette lettre a été adressée d'abord « à Milan, poste restante, » puis renvoyée de Milan à Gênes, et de Gênes à Nice.

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