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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - Le retour (2/8) > Le retour (2/8)

Ma mère et moi, nous habitions la même maison que le curé. Dans cette maison logeait aussi un ecclésiastique, de trois ans plus âgé que moi, et qui avait été un de mes camarades au lycée Saint-Louis. C'était l'abbé Charles Gay. La distance d'âge et de classe qui nous séparait au lycée nous eût sans doute laissés parfaitement étrangers ou, du moins, indifférents l'un à l'autre, si un élément commun ne nous eût pas rapprochés. Cet élément fut la musique. Charles Gay, qui avait,alors quatorze ans, avait de grandes aptitudes musicales, et chantait, dans les chœurs, la partie de second dessus. Il était, en outre, un des élèves les plus brillants du collège. Il termina ses études, et je restai trois ans environ sans le revoir. Je le retrouvai au foyer de l'Opéra, un soir où l'on jouait la Juive. Je le reconnus et j'allai droit à lui.
— Comment! me dit-il, c'est toi! Et qu'est-ce que tu deviens?
— Mais je m'occupe de composition.
— Vraiment? dit-il. Moi aussi. Et avec qui travailles-tu ?
— Avec Reicha.
— Tiens! moi aussi. Oh ! mais c'est charmant ; il faudra nous revoir.
C'est ainsi que se renoua cette amitié qui avait commencé au collège et qui est restée l'une des plus chères affections de ma vie.

J'étais en admiration devant cet ami en qui je reconnaissais une organisation d'élite et des facultés bien supérieures aux miennes. Ses compositions me semblaient révéler un homme de génie, et j'enviais l'avenir auquel il me paraissait appelé. J'allais souvent passer la soirée chez lui, où l'on faisait beaucoup de musique. Sa sœur était excellente pianiste, et j'entendais là (outre ses propres compositions qu'on y essayait entre invités intimes) des trios de Mozart et de Beethoven.

Un jour, je reçus de mon ami, qui était à la campagne, un mot par lequel il me priait de venir le voir, me disant qu'il avait à me faire part d'une nouvelle qui m'intéresserait. Je crus qu'il s'agissait d'un mariage. Lorsque j'arrivai chez lui, il m'annonça qu'il voulait se faire prêtre. Je m'expliquai alors le sens des in-folio et autres gros livres dont, depuis quelque temps déjà, j'avais remarqué que sa table était chargée. J'étais trop jeune pour comprendre un tel revirement, et je le plaignais d'une préférence qui lui faisait sacrifier un si bel avenir pour un sort qui me paraissait si peu digne d'envie.

Sur ces entrefaites, il résolut d'aller passer quelque temps à Rome pour y commencer ses études théologiques. Je venais alors de remporter le grand prix qui allait m'envoyer moi-même à Rome pour deux ans, et ce fut ainsi que j'y retrouvai mon ami, dont l'arrivée avait précédé de trois mois la mienne. A mon retour d'Allemagne, les circonstances nous rapprochaient encore en nous faisant habiter à Paris sous le même toit. Prêtre aujourd'hui depuis trente ans, vicaire général de son intime ami l'évêque de Poitiers, l'abbé Gay1 est devenu par ses vertus et ses talents d'orateur et d'écrivain un des membres les plus éminents du clergé de France.

Vers la troisième année de mes fonctions de maître de chapelle, je me sentis une velléité d'adopter la vie ecclésiastique. A mes occupations musicales j'avais ajouté quelques études de philosophie et de théologie, et je suivis même pendant tout un hiver, sous l'habit ecclésiastique, les cours de théologie du séminaire de Saint-Sulpice.

Mais je m'étais étrangement mépris sur ma propre nature et sur ma vraie vocation. Je sentis, au bout de quelque temps, qu'il me serait impossible de vivre sans mon art, et, quittant l'habit pour lequel je n'étais pas fait, je rentrai dans le monde. Je dois cependant à cette période de ma jeunesse une amitié dont je tiens à honneur d'associer la mention à cette histoire de ma vie.

L'abbé Dumarsais, l'abbé Gay et moi, nous avions été envoyés, pendant l'été de 1846, aux bains de mer de Trouville pour notre santé. Je faillis un jour m'y noyer, et la presse s'empara si vite de cet incident que la nouvelle en était publiée le lendemain même dans des journaux de Paris, pendant que, de son côté, mon frère que j'avais heureusement informé de suite du danger auquel j'avais échappé, rassurait ma mère en lui apportant ma lettre qu'il venait de recevoir. On annonçait sans façon que « j'avais été rapporté mort sur une civière » ! La vérité a bien de la peine à courir aussi vite que le mensonge.

Or, dans le courant de notre saison de bains, nous rencontrâmes sur la plage un excellent abbé qui se promenait avec un jeune garçon dont il était le précepteur. Cet enfant de douze à treize ans se nommait Gaston de Beaucourt. Sa mère, la comtesse de Beaucourt, possédait une fort belle propriété à quelques lieues de Trouville, entre Pont-l'Évêque et Lisieux. Elle nous engagea, de la façon la plus courtoise et la plus gracieuse, à nous y arrêter avant de retourner a Paris.

Ce cher et charmant enfant, qui est aujourd'hui un homme de quarante-trois ans et le meilleur des hommes, est devenu un ami de toute ma vie : je dois à son affection si sûre, si solide et si tendre, non seulement les joies que peut donner par elle-même une aussi parfaite amitié, mais les preuves du dévouement le plus complet et le plus résolu.

1. L'abbé Gay, depuis, est devenu lui-même évêque de Poitiers.

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