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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'Italie (9/9) > L'Italie (9/9)

Avant de quitter l'Académie, M. Ingres voulut me laisser un souvenir qui m'est doublement précieux comme gage de son affection et comme relique de son talent; il fit mon portrait au crayon, et me représenta assis au piano et ayant devant moi le Don Juan de Mozart.

Je sentis profondément le vide qu'allait me faire son départ et combien me manquerait cette salutaire influence d'un maître dont la foi était si vive, l'ardeur si communicative et la doctrine si sûre et si élevée. Il y a, dans les arts, autre chose que le savoir technique, l'habileté spéciale, la connaissance et la possession, même parfaites, des procédés : tout cela est bien et même absolument nécessaire ; mais tout cela ne constitue que les matériaux de l'artiste, l'enveloppe et le corps d'un art particulier et déterminé. Dans tous les arts, il y a quelque chose qui n'appartient exclusivement à aucun et qui est commun à tous, au-dessus de tous, et sans quoi ils ne sont plus que de simples métiers; ce quelque chose, qui ne se voit pas, mais qui est l'âme et la vie, c'est l'Art.

L'Art est une des trois grandes transformations que subissent les réalités au contact de l'esprit humain, selon qu'il les considère à la lumière idéale et souveraine de l'un des trois grands aspects du Bien, du Vrai ou du Beau. L'Art n'est pas plus un rêve pur qu'il n'est une pure copie; il n'est ni l'Idéal seul ni le Réel seul ; il est, ainsi que l'homme lui-même, la rencontre, l'union des deux. Il est l'unité dans la dualité. Par l'Idéal seul, il est au-dessus de nous ; par le Réel seul, il reste au-dessous, La Morale est l'humanisation, l'incarnation du Bien ; la Science est celle du Vrai; l'Art est celle du Beau.

C'est à cet apostolat du Beau qu'appartenait M. Ingres ; c'est là qu'était sa vie ; on le sentait dans ses discours autant que dans ses œuvres, et plus encore, peut-être, que dans ses œuvres, tant les hommes de foi sont des hommes de désirs, et tant l'effort de l'aspiration les emporte au delà du chemin parcouru. De cette hauteur, il répandait sur un musicien autant de lumière que sur un peintre, et révélait à tous le foyer commun des vérités supérieures. Eu me faisant comprendre ce que c'est que l'Art, il m'en a plus appris sur mon art propre que n'auraient pu le faire quantité de maîtres purement techniques.

Quelque peu que j'eusse recueilli de ce précieux contact, ce peu avait suffi pour laisser en moi une empreinte qui ne devait plus s'effacer et un souvenir qui allait me tenir lieu de présence réelle.

Au mois d'avril 1841, M. Ingres fut remplacé par M. Schnetz, peintre renommé, qui devait principalement son succès et sa popularité à des qualités de sentiment et d'expression. M. Schnetz était un homme aimable, affectueux, plein d'esprit naturel, très cordial avec les pensionnaires, très gai, et d'une physionomie très douce et très bienveillante, en dépit d'une charmille épaisse de sourcils noirs qui venait rejoindre une chevelure abondante couvrant le front presque entier, M. Schnelz était, par-dessus tout, le type de ce qu'on appelle un bon enfant.

Je passai sous sa direction ma seconde et dernière année de séjour à Rome. M. Schnetz avait pour Rome une prédilection que les circonstances ont particulièrement favorisée. Trois fois il a été directeur de l'Académie de France, où il a laissé les meilleurs souvenirs.

Mon temps de résidence a Rome allait expirer avec l'année 1841; mais je ne me sentais pas la force de partir, et je prolongeai mon séjour, avec le consentement du directeur; je restai à l'Académie près de cinq mois au delà de mon temps réglementaire, et ne partis qu'à la dernière extrémité, n'ayant plus que les ressources strictement nécessaires pour me rendre à Vienne, où je devais toucher le premier semestre de ma troisième année de pension.

Je n'essaierai pas de décrire mon chagrin lorsqu'il fallut dire adieu à cette Académie, à ces chers camarades, à cette Rome où je sentais que j'avais pris racine. Mes camarades me firent la conduite jusqu'à Ponte-Molle (Pons Milvius), et, après les avoir embrassés, je montai dans le voiturin qui devait m'arracher, c'est bien le mot, à ces deux chères années de Terre Promise. Si, du moins, j'avais du venir directement retrouver ma pauvre mère et mon excellent frère, le départ m'aurait moins coûté; mais j'allais me trouver seul dans un pays où je ne connaissais personne, dont j'ignorais la langue, et cette perspective ne laissait pas de me paraître bien froide et bien sombre. Tant que la route le permit, mes yeux demeurèrent attachés sur la coupole de Saint-Pierre, ce sommet de Rome et ce centre du monde; puis les collines me la dérobèrent tout à fait. Je tombai dans une rêverie profonde et je pleurai comme un enfant.

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