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Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'Italie (6/9) > L'Italie (6/9)

La compagnie des pensionnaires de mon temps, à l'Académie de France, à Rome, comptait dans son sein bien des jeunes artistes, dont plusieurs sont devenus célèbres : entre autres, Lefuel, Hébert, Ballu, l'architecte, tous trois aujourd'hui membres de l'Institut; d'autres, ou qui se seraient illustrés ou qu'une mort prématurée a enlevés à leur art en pleine espérance pour leur pays : Papety le peintre, Octave Blanchard, Buttura, Lebouy, Brisset, Pils, les sculpteurs Diébolt et Godde, les musiciens Georges Bousquet, Aimé Maillart; autant de rejetons de cette école si décriée qui, après les Hippolyte Flandrin et les Ambroise Thomas, produisait Cabanel, Victor Massé, Guillaume Cavelier, Georges Bizet, Baudry, Massenet et tant d'autres artistes éminents dont il faudrait joindre le nom à cette liste déjà respectable. Les pensionnaires étaient souvent invités aux soirées de l'ambassade de France. C'est là que je vis, pour la première fois, Gaston de Ségur, alors attaché d'ambassade, devenu, depuis, le saint évêque que tout le monde sait, et que j'ai eu le bonheur de compter au nombre de mes plus tendres et plus fidèles amis.

Au séjour de Rome, qui était la résidence permanente et régulière, vinrent s'ajouter les excursions autorisées dans le reste de l'Italie.

Je n'oublierai jamais l'impression que me fit Naples la première fois que j'y arrivai, avec mon camarade Georges Bousquet, mort aujourd'hui, et qui avait eu le grand prix de musique l'année précédente. Nous faisions le voyage avec le marquis Amédée de Pastoret, qui avait écrit les paroles de la cantate avec laquelle je venais de remporter le prix.

Ce climat enchanteur qui fait pressentir et deviner le ciel de la Grèce, ce golfe, bleu comme le saphir, encadré dans une ceinture de montagnes et d'îles dont les pentes et les sommets prennent, au coucher du soleil, cette gamme incessamment changeante de teintes magiques qui défieraient les plus riches velours et les pierreries les plus étincelantes, tout cela me produisit l'effet d'un rêve ou d'un conte de fées. Les environs, ces merveilles qu'on appelle le Vésuve, Portici, Castellamare, Sorrente, Pompéï, Herculanum, les îles d'Ischia et de Capri, Pausilippe, Amalfi, Salerne, Pœstum enfin avec ses admirables temples doriques que baignaient autrefois les flots d'azur de la Méditerranée, me semblèrent une véritable vision. Ce fut absolument l'inverse de Rome : le ravissement instantané.

Si l'on ajoute à de pareilles séductions tout l'intérêt qui s'attache à la visite du Musée de Naples (les Studii ou Musée Borbonico), trésor unique par les chefs-d'œuvre d'art antique qu'il renferme et dont la plupart ont été révélés par les fouilles de Pompéï, d'Herculanum, de Nola et autres villes enfouies depuis plus de dix-huit siècles sous les éruptions du Vésuve, on comprendra facilement ce que doit être l'attrait d'une pareille ville, et combien de jouissances y attendent un artiste.

Trois fois, pendant mon séjour à Rome, j'eus le bonheur de visiter Naples, et parmi les plus vives et les plus profondes impressions que j'en aie rapportées, je place en première ligne cette île merveilleuse de Capri, si sauvage et si riante à la fois grâce au contraste de ses rochers abruptes et de ses coteaux verdoyants.

Ce fut en été que je visitai Capri pour la première fois. Il faisait un soleil ardent et une chaleur torride. Pendant le jour, il fallait ou s'enfermer dans une chambre en demandant à l'obscurité un peu de fraîcheur et de sommeil, ou se plonger dans la mer et y passer une partie de la journée, ce que je faisais avec délices. Mais ce qu'il est difficile d'imaginer, c'est la splendeur des nuits sous un pareil climat, dans une telle saison. La voûte du ciel est littéralement palpitante d'étoiles; on dirait un autre Océan dont les vagues sont faites de lumière, tant le scintillement des astres emplit et fait vibrer l'espace infini. Pendant les deux semaines que dura mon séjour, j'allais souvent écouter le silence vivant de ces nuits phosphorescentes : je passais des heures entières, assis sur le sommet de quelque roche escarpée, les yeux attachés sur l'horizon, faisant parfois rouler, le long de la montagne à pic quelque gros quartier de pierre dont je suivais le bruit jusqu'à la mer, où il s'engouffrait en soulevant un friselis d'écume. De loin en loin, quelque oiseau solitaire faisait entendre une note lugubre et reportait ma pensée vers ces précipices fantastiques dont le génie de Weber a si merveilleusement rendu l'impression de terreur dans son immortelle scène de la « fonte des balles » de l'opéra le Freischütz.

Ce fut dans une de ces excursions nocturnes que me vint la première idée de la « nuit deWalpurgis » du Faust de Goethe. Cet ouvrage ne me quittait pas; je l'emportais partout avec moi, et je consignais, dans des notes éparses, les différentes idées que je supposais pouvoir me servir le jour où je tenterais d'aborder ce sujet comme opéra, tentative qui ne s'est réalisée que dix-sept ans plus tard.

Cependant il fallait reprendre la route de Rome et rentrer à l'Académie. Quelque agréable et séduisant que fût le séjour de Naples, je n'y suis jamais resté sans éprouver, au bout d'un certain temps, le besoin de revoir Rome: c'était comme le mal du pays qui s'emparait de moi, et je m'éloignais sans tristesse de ce milieu auquel je devais cependant des heures si délicieuses. C'est qu'avec toute sa splendeur et tout son prestige, Naples est, en somme, une ville criarde, tumultueuse, agitée, glapissante. La population s'y démène et s'y interpelle et s'y chicane et s'y dispute, du matin au soir et même du soir au matin, sur ces quais où l'on ne connaît ni le repos ni le silence. L'altercation, à Naples, est l'état normal; on y est assiégé, importuné, obsédé par les infatigables poursuites des facchini, des marchands, des cochers, des bateliers qui, pour un peu, vous prendraient de force et se font, entre eux, la concurrence au rabais1.

1. Voir plus loin, une lettre de Gounod à Lefuel, en date du 14 juillet 1840.

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