Accueil Nous sommes le samedi 18 mai 2024 
Rechercher sur metronimo.com avec
Google
Logiciels de Métronimo

Logiciels ludiques pour apprendre la musique. Cliquez ici pour jouer.

English Français Español

Accueil de la bibliothèque > Charles Gounod - Mémoires d'un artiste CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - L'enfance (10/13) > L'enfance (10/13)

Cependant, mes études musicales se poursuivaient avec fruit et m'attachaient de plus en plus.

Une vacance de plusieurs jours arriva (les congés du jour de l'an), et ma mère en profita pour me procurer un plaisir qui fut en même temps une grande et salutaire leçon. On donnait aux Italiens le Don Giovanni de Mozart. Ma mère m'y conduisit elle-même; et cette divine soirée passée auprès d'elle, dans une petite loge des quatrièmes du Théâtre-Italien, est restée l'un des plus mémorables et des plus délicieux souvenirs de ma vie. Je ne sais si ma mémoire est fidèle, mais je crois que c'est Reicha qui avait conseillé à ma mère de me mener entendre Don Juan.

Devant le récit de l'émotion que me fit éprouver cet incomparable chef-d'œuvre, je me demande si ma plume pourra jamais la traduire, je ne dis pas fidèlement, cela me paraît impossible, mais au moins de manière à donner quelque idée de ce qui s'est passé en moi pendant ces heures uniques dont le charme a dominé ma vie comme une apparition lumineuse et une sorte de vision révélatrice. Dès le début de l'ouverture, je me sentis transporté, par les solennels et majestueux accords de la scène finale du Commandeur, dans un monde absolument nouveau. Je fus saisi d'une terreur qui me glaçait; et, lorsque vint celle progression menaçante sur laquelle se déroulent ces gammes ascendantes et descendantes, fatales et implacables comme un arrêt de mort, je fus pris d'un tel effroi que ma tête tomba sur l'épaule de ma mère, et qu'ainsi enveloppé par cette double étreinte du beau et du terrible, je murmurai ces mots :
— Oh ! maman, quelle musique ! c'est vraiment la musique, cela !

L'audition de l'Otello de Rossini avait remué en moi les fibres de l'instinct musical; mais l'effet que me produisit le Don Juan eut une signification toute différente et une tout autre portée. Il me semble qu'il dut y avoir entre ces deux sortes d'impressions quelque chose d'analogue à ce que ressentirait un peintre qui passerait tout à coup du contact des maîtres vénitiens à celui des Raphaël, des Léonard de Vinci et des Michel-Ange. Rossini m'avait fait connaître l'ivresse de la volupté purement musicale : il avait charmé, enchanté mon oreille. Mozart faisait plus : à cette jouissance si complète au point de vue exclusivement musical et sensible, se joignait, cette fois, l'influence si profonde et si pénétrante de la vérité d'expression unie à la beauté parfaite. Ce fut, d'un bout à l'autre de la partition, un long et inexprimable ravissement. Depuis les pathétiques accents du trio de la mort du Commandeur et de Donna Anna sur le corps de son père, jusqu'à cette grâce de Zerline, et à cette suprême et magistrale élégance du trio des Masques et de celui qui commence le deuxième acte sous le balcon de Donna Elvire, tout, enfin (car, dans cette œuvre immortelle, il faudrait tout citer), me procura cette espèce de béatitude qu'on ne ressent qu'en présence des choses absolument belles qui s'imposent à l'admiration des siècles, et servent, pour ainsi dire, d'étiage au niveau esthétique dans les arts. Cette représentation compte pour les plus belles étrennes de mes années d'enfance ; et plus tard, lorsque j'obtins le grand prix de Rome, en 1839, ce fut de la grande partition de Don Juan que ma pauvre mère me fit cadeau pour me récompenser.

Cette année-là fut, au reste, particulièrement favorable au développement de ma passion pour la musique. Après Don Juan, j'entendis, pendant la semaine sainte, deux concerts spirituels de la Société des concerts du Conservatoire, alors dirigée par Habeneck. A l'un d'eux, on exécuta la Symphonie pastorale de Beethoven, et, à l'autre, la Symphonie avec chœurs du même maître. Ce fut un nouvel élan donné à mon ardeur musicale, et je me souviens très bien que, tout en me révélant la personnalité si fière, si hardie de ce génie gigantesque et unique, ces deux auditions me laissèrent comme la conscience instinctive d'un langage semblable, au moins par bien des côtés, à celui auquel m'avait initié l'audition de Don Juan : quelque chose me disait que ces deux grands génies si diversement incomparables avaient une patrie commune et appartenaient aux mêmes doctrines.

Mon temps de collège s'avançait. Parmi les ressorts que ma mère avait mis en jeu pour me donner à réfléchir sur les conséquences de ma détermination, outre qu'elle comptait toujours un peu sur le redoublement de mes classes, elle avait espéré me dissuader en me déclarant formellement que si j'amenais un mauvais numéro au tirage pour la conscription, elle serait obligée de me laisser partir, étant trop pauvre pour payer un remplaçant militaire. Évidemment, ce n'était là qu'un expédient : la chère femme, qui avait, à coup sûr, mangé plus d'une fois du pain sec pour que ses enfants ne manquassent de rien, aurait vendu son lit plutôt que de se séparer de l'un de nous ; et, comme j'étais en âge de sentir et de comprendre tout ce qu'une pareille vie de travail, de dévouement et de sacrifices m'imposait d'obligations, de respect et d'amour pour ma mère, je lui dis, lorsqu'elle me parla de la conscription : — C'est bien, maman; ne m'en parlez plus ; j'en fais mon affaire : je me rachèterai moi-même, j'aurai le grand prix de Rome.

<< Précédent

Suite >>

***

Accueil - Avertissement - L'enfance - L'Italie - L'Allemagne - Le retour - Lettres - De l'artiste dans la société moderne - L'Académie de France à Rome - La nature et l'art - Préface à la correspondance d'Hector Berlioz - M. Camille Saint-Saëns, Henri VIII

Rechercher dans cet ouvrage :

Imprimer cette page

Livres sur la musique à prix cassé

Livres sur Jean-Jacques Goldman à prix cassé Livres sur Jean-Jacques Goldman à prix cassé
Livres sur Michael Jackson à prix cassé Livres sur Maria Callas à prix cassé

Imprimez vos photos différemment
Puzzles en bois

Copyright © metronimo.com - 1999-2024 - Tous droits réservés - Déclaration CNIL 1025871