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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Le Freischütz (4/5) > Le Freischütz (4/5)

Et vous aussi, qui vous promenez au bois de Boulogne, vous avez chanté les airs du Freischütz! Dans les rues de Paris les orgues de Barbarie ont fait entendre le chœur des chasseurs ; l'Opéra-Comique n'a pas dédaigné la Couronne de la vierge, et cet air ravissant : Jamais le sommeil n'approcha de mes paupières a plus d'une fois enthousiasmé l'auditoire de vos salons. Mais ce que vous chantiez, le compreniez-vous ? J'en doute fort. D'abord vous n'avez pas vu cette nature si étrangement sauvage ; et puis dans la sentimentalité, dans la rêverie allemande, il y a quelque chose qui échappera toujours aux étrangers, si spirituels qu'ils puissent être. Nous sommes un peuple singulier; l'air de Freischütz : A travers les bois, fait couler nos larmes, tandis que nos yeux restent secs quand, au lieu d'une patrie commune, nous n'apercevons que trente-quatre principautés. C'est peut-être là une faiblesse, mais vous nous la pardonnerez, car c'est à elle que vous devez une admirable partition, qui mérite bien, du reste, la peine de faire un voyage, et de visiter les lieux où Samiel avait sa résidence. Un voyage à Carlsbad vous en offrirait facilement l'occasion. Si vous pensez que cela n'en vaut pas la peine, si vous ne pouvez renoncer pour une seule soirée à vos habitudes et à tout ce qui fait le charme de la vie parisienne, alors vous ne comprendrez pas le Freischütz, et pourtant vous voulez le comprendre, vous voulez l'entendre et le voir tel qu'il est ; c'est fort bien, et c'est toute justice, car vous en agissez de même avec le Fidèle Berger. Mais l'Académie royale de musique a ses exigences auxquelles notre pauvre Freischütz ne saurait satisfaire dans sa forme primitive. Il est écrit : Ici on dansera, et dans la pièce allemande il n'y a pas de ballet, il n'y a que des jeunes gens qui font valser leurs belles. De plus, il est écrit : Vous ne parlerez pas, et il y a un dialogue d'une naïveté excessive. Il faudra donc faire danser tout le monde et l'empêcher de parler ! Il y aurait bien un moyen plus simple de se tirer d'embarras : ce serait de faire exception à la règle, en faveur de l'admirable partition. Mais ce moyen, vous ne l'emploierez pas, car vous n'êtes libres que là où vous voulez l'être, et malheureusement ici vous ne le voulez pas. Vous avez entendu parler de la Vallée aux Loups, et du diable, et aussitôt les machines de l'Opéra vous sont venues à l'esprit ; le reste n'est rien. Il vous fallait un ballet et un récitatif, et vous avez choisi un de vos compositeurs les plus originaux pour vous en faire la musique. Cela vous fait honneur, cela prouve que vous savez apprécier dignement notre chef-d'œuvre. Parmi tous les compositeurs français de nos jours, je n'en connais pas qui comprit aussi bien la partition du Freischütz, et qui fut aussi capable de la compléter, si toutefois cela était nécessaire. L'auteur de la Symphonie fantastique est un homme de génie; personne plus que moi ne reconnaît l'énergie irrésistible de sa verve poétique ; il y a chez lui une conviction consciencieuse qui fait qu'il n'obéit jamais qu'à l'inspiration impérieuse de son talent ; dans toutes ses symphonies se révèle une nécessité intérieure à laquelle l'auteur ne pouvait se soustraire. Mais c'est précisément à cause des éminentes qualités qui distinguent M. Berlioz que je lui soumets en toute confiance mes observations au sujet de ce travail.
La partition du Freischütz est un tout complet, coordonné dans toutes ses parties sous le double rapport de la pensée et de la forme ; y ajouter, en retrancher quelque chose, si peu que cela puisse être, n'est-ce pas en quelque sorte dénaturer, mutiler l'œuvre du maître ? S'agit-il ici d'approprier aux besoins de l'époque une partition qui remonte à l'enfance de l'art, de refaire un ouvrage que l'auteur primitif n'aurait pu développer suffisamment, faute de connaître les moyens techniques dont nous disposons aujourd'hui ? Tout le monde sait qu'il ne peut être question de tout cela, et M. Berlioz repousserait avec une juste indignation toute proposition de cette nature. Non, il s'agit de mettre une œuvre originale, complète, en harmonie avec des exigences extérieures qui lui sont étrangères. Eh quoi ! une partition consacrée par vingt ans de succès, en faveur de laquelle l'Académie royale de musique veut bien déroger à ses lois, si rigoureuses d'ailleurs, pour participer, elle aussi, à un des plus éclatants triomphes que jamais pièce ait obtenu à aucun théâtre, une telle partition ne pourrait faire céder certaines règles routinières? On ne pourrait exiger qu'elle y parût dans sa forme primitive, qui est une partie essentielle de son originalité ? Voilà pourtant le sacrifice que l'on exige. Croyez-vous que je me trompe ? Croyez-vous que les récitatifs et les. ballets que vous ajouterez après coup n'altéreront en rien la physionomie de l'œuvre de Weber ? Croyez-vous qu'en substituant à un dialogue naïf, rempli parfois d'une gaieté spirituelle, un récitatif qui dans la bouche des chanteurs devient toujours un peu traînant, vous n'effacerez pas ce caractère de cordialité franche et joyeuse que respirent les scènes entre les bons paysans de la Bohême ? Les causeries des deux jeunes filles dans la maison du forestier ne perdront-elles pas nécessairement de leur fraîcheur, de leur vérité ? Au reste, ces récitatifs, si heureusement inventés qu'ils puissent être, avec quelque art qu'on les mette en harmonie avec le ton général de l'ouvrage, n'en dérangeront pas moins la symétrie. Il est évident que le compositeur allemand a constamment eu égard au dialogue : les morceaux de chant ont peu d'étendue ; ils seront constamment écrasés par les énormes récitatifs qu'il faudra ajouter, et qui en affaibliront le sens et par conséquent l'effet. Dans ce drame où le plus simple Lied a un sens si profond, vous ne trouverez pas ces bruyants morceaux d'ensemble, ces finales impétueux auxquels vos grands opéras vous ont habitués. Dans la Muette, dans les Huguenots, dans la Juive, vu les dimensions colossales de ces morceaux, il faut absolument que l'intervalle qui les sépare soit rempli par des récitatifs; le dialogue semblerait mesquin et niais, et aurait tout à fait l'air d'une parodie. Quelle bizarrerie en effet, si, dans la Muette, Masaniello, entre le grand duo et le finale du second acte, s'avisait tout à coup de parler ; si, dans les Huguenots, après le colossal morceau d'ensemble du quatrième acte, Raoul et Valentine se préparaient au duo suivant par un dialogue, si dramatique qu'il puisse d'ailleurs être ! Sans doute vous en seriez choqués, et avec raison. Or, ce qui est une nécessité esthétique pour les opéras de grande dimension, deviendrait, par une raison contraire, un fléau pour le Freischütz où les morceaux de chant sont beaucoup moins étendus. Toutes les fois que les situations données par le dialogue provoqueront naturellement l'effet dramatique, M. Berlioz, je le prévois, ne pourra s'empêcher de laisser jaillir les sources fécondes de son imagination ; je prévois quelle expression de sombre énergie il saura donner à cette scène où Caspar cherche à enlacer son jeune ami dans ses séductions diaboliques, où il le presse de faire le premier essai des balles-franches, où il cherche à l'enrôler sous les bannières de l'enfer, où il lui adresse ces .paroles empreintes d'une profonde méchanceté : Lâche, ce n 'est qu 'aux dépens d'autrui que tic voudrais gagner le prix! Croîs-tu peut-être que tu n'es pas déjà coupable? penses-tu que le coup que tu viens de tirer te sera remis? Je suis sûr qu'à ce passage, de bruyants applaudissements récompenseront les magnifiques inspirations de M. Berlioz ; mais j'ai aussi la certitude qu'après le récitatif, l'air de Caspar, qui suit, ne produira point l'effet qu'on devait en attendre. De cette façon vous aurez quelque chose d'entièrement nouveau, de merveilleux, si vous voulez ; et nous qui connaissons le Freischütz, qui n'avons pas besoin de récitatif supplémentaire pour le comprendre, nous verrons avec plaisir les œuvres de Berlioz augmentées d'une création nouvelle ; mais nous doutons que l'on vous ait fait comprendre le Freischütz. Vous jouirez d'une musique tour à tour gracieuse et terrible, qui flattera vos oreilles et vous donnera de profondes émotions ; vous entendrez exécuter dans une admirable perfection des Lieder que jusqu'ici on vous avait assez médiocrement chantés ; une belle déclamation dramatique pleine de grandes pensées vous guidera d'un morceau de chant à l'autre, et pourtant vous serez choqués de l'absence de beaucoup de choses auxquelles vous êtes habitués, et dont vous vous passerez difficilement.

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