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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Une visite à Beethoven (4/9) > Une visite à Beethoven (4/9)

Le désespoir commençait à me gagner. Enfin, je confiai mon désappointement au maître de l'hôtel, et celui-ci me promit de m'aplanir tous les obstacles, mais à condition de ne rien révéler à l'Anglais. Tout disposé à me méfier de ce malencontreux personnage, je prêtai volontiers le serment qu'on me demandait. — Voyez-vous, me dit l'honnête hôtelier, il vient ici une kyrielle d'Anglais pour voir M. Beethoven et lier connaissance avec lui, ce qui le contrarie à l'excès, et leur indiscrète curiosité le met tellement hors de lui-même qu'il s'est déterminé à fermer sa porte à tous les étrangers sans exception. C'est un homme un peu original, et il faut l'excuser. Cela fait, du reste, fort bien les affaires de mon hôtel, car j'ai toujours ici bon nombre d'Anglais dans l'expectative, qui, grâce à la difficulté d'aborder M. Beethoven, sont obligés de séjourner ici plus longtemps. Mais puisque vous me promettez de ne donner l'alarme à personne, j'espère vous procurer incessamment la faveur d'être introduit auprès de M. Beethoven.

Ainsi chose plaisante! c'était parce qu'on me confondait, moi, pauvre diable, avec MM. les touristes anglais que je n'avais pu réussir dans mon pieux dessein. Oh! mes pressentiments n'étaient que trop vérifiés. Je devais à l'Anglais maudit la plus amère des déceptions. Je me déterminai aussitôt à déménager, car il était clair que tous les hôtes de cette auberge passaient chez Beethoven pour autant d'Anglais, et c'était là le motif de ma cruelle exclusion. Cependant la promesse de l'hôte de me faire obtenir une entrevue de Beethoven m'empêcha de partir. L'Anglais, de son coté, lui que je détestais à présent de toute mon âme, n'avait épargné aucune intrigue, aucun embauchement pour arriver à son but, mais il avait échoué néanmoins contre la rigoureuse consigne. Plusieurs jours se passèrent pourtant encore sans aucun résultat et les revenus de mes galops baissaient sensiblement, quand enfin mon hôte me confia que je ne pouvais manquer de voir de près Beethoven, en me rendant le soir dans une certaine brasserie où il avait l'habitude d'aller, et il me donna en même temps des renseignements détaillés qui devaient m'aider à reconnaître le grand artiste. Je me sentis revivre, et je résolus de ne pas remettre mon bonheur au lendemain. Il était impossible de saisir Beethoven à son passage dans la rue, car il sortait toujours de chez lui par une porte de derrière. Il ne me restait donc que la brasserie ; mais je l'y cherchai ce jour-là inutilement, et il en fut de même durant trois soirées consécutives. Enfin, le quatrième jour, comme je me dirigeais de nouveau vers la brasserie, je remarquai avec désespoir que l'Anglais me suivait de loin avec circonspection. Le malheureux, toujours posté à sa croisée, avait remarqué ma sortie à heure fixe, cela l'avait frappé, et, persuadé que je devais, pour en agir ainsi, avoir découvert le secret qui donnait accès près de Beethoven, il s'était décidé à me suivre, pour profiter de ma découverte. Il me raconta tout avec une naïve franchise, et finit par me déclarer qu'il me suivrait partout. J'eus beau protester que le but de ma promenade était tout simplement une modeste brasserie, beaucoup trop modeste pour mériter la visite d'un gentleman aussi distingué, il fut inébranlable dans sa résolution, et je maudissais ma triste destinée. Je cherchai à la fin à me défaire de lui par l'incivilité de mes procédés, mais il parut n'y attacher aucune importance, et se contentait de sourire doucement. Son idée fixe était de voir Beethoven, et il se souciait peu du reste.

Effectivement, je devais ce jour-là même jouir enfin pour la première fois de la vue de l'illustre compositeur. Rien ne saurait peindre mon ravissement et ma secrète rage tout à la fois, quand, assis côte à côte avec mon gentleman, je vis s'avancer le musicien allemand dont la tournure et les manières répondaient de tout point au signalement que m'avait fourni l'aubergiste. Une taille élevée, que dessinait une longue redingote bleue, des cheveux gris ébouriffés, et les mêmes traits, la même expression de visage que depuis si longtemps évoquait mon imagination. Il était impossible de s'y tromper, et je l'avais reconnu au premier coup d'œil. Il s'avança vivement, quoiqu'à petits pas, de notre côté. Le respect et la surprise enchaînaient tous mes sens. L'Anglais ne perdit pas un seul de mes mouvements, et examinait d'un œil curieux le nouveau venu, qui, après s'être retiré, dans l'endroit le plus écarté du jardin, peu fréquenté, du reste, à cette heure, se fit apporter par le garçon une bouteille de vin, et puis demeura quelque temps dans une attitude pensive, les mains appuyées sur le pommeau de sa canne. Mon cœur palpitant me disait : c'est lui! Pendant quelques minutes, j'oubliai mon voisin, et je contemplai d'un regard avide, avec une émotion indéfinissable, cet homme de génie qui seul maîtrisait tous mes sentiments et toutes mes idées, depuis que j'avais appris à penser et à sentir. Involontairement je me mis à parler tout bas, et j'entamai une sorte de soliloque qui se termina par ces mots trop significatifs : « Beethoven! c'est donc toi que je vois! » Mais rien n'échappa à mon inquisiteur, et je fus subitement réveillé de ma profonde extase par ces paroles confirmatives : — Yes! ce gentleman est Beethoven lui-même! venez avec moi et abordons-le tous deux.

Plein d'anxiété et de dépit, je saisis par le bras le maudit Anglais pour le retenir à sa place : « Qu'allez-vous faire? lui dis-je; voulez-vous donc nous compromettre, ici, sans plus de cérémonie?...

— Mais, répliqua-t-il, c'est une excellente occasion, qui ne se retrouvera peut-être jamais. En même temps, il tira de sa poche une espèce d'album, et se dirigea tout droit vers l'homme à la redingote bleue. Exaspéré au dernier point, je saisis de nouveau cet insensé par les basques de son habit, en lui criant avec force : —Avez-vous donc le diable au corps!

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***

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