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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - Lettres > Lettres XVI
Jeudi, 16 mars 1871.
Ma Berthe,
C'est seulement ce matin que nous recevons votre lettre du 13. Elle nous afflige
profondément : le départ de notre chère mère, les motifs qui le lui conseillent
et même le lui imposent, la pensée de tout ce qu'elle va revoir d'affligeant
pour son cœur, l'espoir déçu de vous posséder ici quelque temps, tout cela va
clore tristement un hiver si tristement rempli!
Si l'engagement que j'ai contracté pour le Ier mai ne me retenait à Londres
jusque-là, je serais parti ainsi qu'Anna et mes enfants, avec notre mère. Le devoir,
représenté par quelques morceaux de pain à gagner, m'enjoint de ne pas partir
encore; mais la première huitaine de mai ne s'achèvera pas sans que nous soyons
en route pour aller vous retrouver. Malgré l'accueil très honorable et la
situation artistique que mes œuvres m'ont faite ici, je sens que ce pays n'est
pas ma France : et comme je suis beaucoup plus humanitaire qu'autre chose, je
crois que ma nature et mes habitudes françaises sont trop âgées pour se plier à
une transplantation. Je mourrai Français malgré tout. Ce n'est qu'à des temps
encore loin de nous, qu'il sera donné de faire prédominer dans l'homme la patrie
de la Terre, sur la terre de la Patrie.
Je vous embrasse tous deux du fond du cœur.
CHARLES GOUNOD. ***
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