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CHARLES GOUNOD, MÉMOIRES D'UN ARTISTE - Le retour (7/8) > Le retour (7/8) La direction de l'orphéon occupait alors la plus grande partie de mon temps :
j'écrivais, pour les grandes réunions chorales de cette institution, nombre de
morceaux dont quelques-uns furent remarqués, et parmi lesquels se trouvent deux
messes dont l'une avait été exécutée sous ma direction, le 12 juin 1853, dans
l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, à Paris. Ce fut pendant une des grandes
séances annuelles de l'orphéon que ma femme me donna un
fils, le dimanche 8 juin 1856. (Trois ans auparavant, le 13 du même mois, nous
avions eu la douleur de perdre un premier enfant, une fille qui n'avait pas
vécu.) Le matin du jour où naquit mon fils, ma courageuse femme, au moment où
j'allais partir pour la séance de l'orphéon, eut la force de me cacher les
douleurs dont elle ressentait les premières atteintes ; et, lorsque, dans
l'après-midi, je rentrai à la maison, mon fils était au monde.
La venue de cet enfant, que j'avais tant désiré, fut pour nous une joie et une
fête : nous avons eu le bonheur de le conserver; il a maintenant vingt et un ans
accomplis et se destine à la peinture.
Depuis la Nonne sanglante, je n'avais travaillé à aucune œuvre dramatique ; mais
j'avais écrit un petit oratorio, Tobie, que m'avait demandé, pour l'un de ses
concerts
annuels à bénéfice, George Hainl, alors chef d'orchestre du Grand-Théâtre à
Lyon, Cet ouvrage a, je crois, quelques qualités de sentiment et d'expression ;
on y avait remarqué un air assez touchant du jeune Tobie et quelques autres
passages qui ne manquaient pas d'un certain accent pathétique.
En 1856, je fis connaissance de Jules Barbier et de Michel Carré. Je leur
demandai s'ils seraient disposés à travailler avec moi et à me confier un poème
; ils y consentirent avec beaucoup de bonne grâce. La première idée sur laquelle
j'attirai leur collaboration fut Faust. Cette idée leur plut beaucoup : nous
allâmes trouver M. Carvalho, qui était alors directeur du Théâtre-Lyrique, situé
boulevard du Temple, et qui venait de monter la Reine Topaze, ouvrage de
Victor Massé, dans lequel madame Miolan-Carvalho avait un très grand succès.
Notre projet sourit à M. Carvalho, et aussitôt mes deux collaborateurs se mirent
à l'œuvre. J'étais parvenu à peu près à la moitié de mon travail, lorsque M.
Carvalho m'annonça que le théâtre de la Porte-Saint-Martin préparait un grand
mélodrame intitulé Faust, et que cette circonstance renversait toutes ses
combinaisons au sujet de notre ouvrage. Il considérait, avec raison, comme
impossible que nous fussions prêts avant la Porte-Saint-Martin ; et, d'autre
part, il jugeait imprudent, au point de vue du succès, d'engager, sur un même
sujet, la lutte avec un théâtre dont le luxe de mise en scène aurait déjà fait
courir tout Paris au moment où notre œuvre verrait le jour.
Il nous invita donc à chercher un autre sujet ; mais cette déconvenue soudaine
m'avait rendu incapable de diversion, et je restai huit jours sans pouvoir me
livrer à d'autre travail.
Enfin M. Carvalho me demanda d'écrire un ouvrage comique et d'en chercher la
donnée dans le théâtre de Molière. Ce fut là l'origine du Médecin malgré lui,
qui fut ; représenté au Théâtre-Lyrique le 10 janvier 1858, jour anniversaire
de la naissance de Molière1. L'annonce d'un ouvrage comique écrit par un
musicien dont les trois premiers essais semblaient indiquer des tendances
tout autres fit craindre et présager un échec. L'événement déjoua ces craintes,
dont quelques-unes étaient peut-être des espérances, et le Médecin malgré lui
fut, malgré cela, mon premier succès de public au théâtre. Le plaisir devait en
être empoisonné par la mort de ma pauvre mère qui, malade depuis des mois, et
complètement aveugle depuis deux ans, expirait le
lendemain même, 16 janvier 1858, à l'âge de soixante-dix-sept ans et demi. Il ne
m'a pas été donné d'apporter à ses derniers jours ce fruit et cette récompense
d'une vie toute consacrée à l'avenir de ses fils ! J'espère, du moins, qu'elle a
emporté l'espoir et le pressentiment que ses soins n'auraient pas été stériles
et que ses sacrifices seraient bénis2.
1. Voir plus loin, Lettres, comment Gounod, trente-trois ans après, dans
un toast à S. A. I. la princesse Mathilde, évoquait le souvenir de cet ouvrage.
2. Voir plus loin, une lettre de Gounod à l'un de ses beaux-frères, M. Pigny. ***
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