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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Halévy et la reine de Chypre (3/9) > Halévy et la reine de Chypre (3/9)

La musique extérieure de la Juive, si je peux m'exprimer ainsi, est tout à fait en harmonie avec la conception primitive et intime : le commun, le trivial en sont proscrits. Quoique tout soit calculé au point de vue de l'ensemble de l'ouvrage, l'auteur ne s'en attache pas moins à travailler, à façonner jusqu'aux plus petits détails avec une sollicitude infatigable. Les diverses parties de la distribution scénique se tiennent et s'enchaînent, et en cela Halévy se distingue sensiblement et d'une manière avantageuse de la plupart des faiseurs d'opéra de notre époque, dont quelques-uns ne croient pouvoir se donner assez de mal pour séparer, isoler chaque scène, que dis-je? chaque phrase de ce qui précède et de ce qui suit, sans doute dans le but peu honorable de signaler à l'attention du public les passages où il peut, sans inconvénient, manifester sa satisfaction par des applaudissements ; tandis qu'Halévy a toujours la conscience de sa dignité de compositeur dramatique. De plus, la fécondité de son talent s'annonce par une grande variété de rythmes dramatiques, qui se font remarquer surtout dans l'accompagnement de l'orchestre, dont le mouvement est toujours caractéristique. Mais ce qui nous semble surtout digne d'admiration, c'est qu'Halévy a réussi à imprimer à sa partition le sceau de l'époque où l'action se passe. Pour résoudre ce problème, il ne s'agissait pas de consulter quelques notices d'antiquaire et d'en tirer des indications archéologiques sur des particularités grossières relatives aux mœurs du temps, et qui n'offraient aucun intérêt artistique; il fallait donner à la musique le parfum de l'époque et reproduire les hommes du moyen-âge dans leur individualité : or c'est en cela que l'auteur de la Juive a parfaitement réussi. Sans doute on ne saurait signaler tel ou tel passage qui dénote plus particulièrement cette intention dans l'auteur, et en ceci il s'est montré véritablement artiste : mais j'avoue pour mon compte que jamais je n'ai entendu de musique dramatique qui m'ait reporté si complètement à une époque quelconque de l'histoire. Comment Halévy est-il parvenu à obtenir cet effet? c'est un mystère dont il faut chercher le dernier mot dans sa manière de produire. On pourrait ranger Halévy dans ce qu'on appelle l'école historique, si dans ses éléments constitutifs la manière de ce compositeur ne coïncidait avec l'école romantique ; car dès que nous sommes enlevés à nous-mêmes, à nos sensations et à nos impressions journalières, et que, de la sphère habituelle où s'écoule notre existence, nous sommes transportés dans une région inconnue, tout en conservant la pleine et entière conscience de nos facultés, dès; ce moment nous sommes sous le charme de ce que l'on appelle poésie romantique.

Nous voilà arrivés au point où la voie dans laquelle marche Halévy s'éloigne entièrement de la route qu'a suivie Auber. Les compositions de ce dernier portent l'empreinte nationale, au point d'en devenir monotones. On ne saurait contester que le caractère essentiellement français de sa musique ne lui ait assuré en peu de temps une position décidée, indépendante dans le domaine de l'opéra-comique ; d'un autre côté, il est évident que cette individualité nationale, si énergiquement prononcée, ne lui a pas permis, quand il s'est agi de concevoir et d'écrire des tragédies lyriques, de s'élever au point de vue où tout intérêt de nationalité s'efface, et où l'on ne sympathise plus qu'avec les intérêts purement humains. Il est bien entendu que je ne parle ici de nationalité que dans le sens le plus restreint. Se conformer, s'identifier aux habitudes, aux allures nationales, c'est la seule condition par laquelle le poète et le compositeur, dans le genre . comique, agiront sur les masses d'une manière sûre et puissante. Le poète emploiera les adages, les maximes et jeux de mots, etc., qui ont cours parmi la nation pour laquelle il écrit ; le compositeur s'emparera des rythmes et des tours de mélodie, qui se rencontrent dans les airs populaires, ou bien il inventera des tours et des rythmes nouveaux, en harmonie avec le goût et le caractère national. Plus la nationalité de ces airs sera marquée, plus ces airs seront en faveur, et personne n'a mieux réussi dans ce genre qu'Auber. C'est là précisément ce qui a entravé le talent du compositeur dans la tragédie lyrique ; et bien que dans la Muette il ait poursuivi et fait valoir cette direction exclusive avec un talent supérieur, c'est là cependant ce qui est cause que ce maître sans égal dans son genre a beaucoup moins réussi dans ses autres grands-opéras.

J'entends parler ici du caractère dramatique de la mélodie. Hors les cas où il s'agit avant tout de faire ressortir certaines individualités nationales, la mélodie doit avoir un caractère indépendant, général ; car c'est alors seulement qu'il est possible au musicien de donner à ses tableaux un coloris dont il puise les éléments ailleurs que dans son époque et dans le monde où il vit; quand la mélodie exprime des sentiments purement humains, il ne faut pas qu'elle porte les traces de l'origine française, italienne, etc. Ces nuances nationales, fortement accusées, compromettent la vérité dramatique de la mélodie, et la détruisent quelquefois entièrement. Un autre inconvénient qui en résulte, c'est le manque de variété. Et avec quelque esprit, quelque habileté que ces nuances soient motivées, les traits essentiels finissent toujours par se reproduire à chaque instant ; la facilité avec laquelle on les reconnaît lui concilie la faveur populaire, mais elle efface l'illusion dramatique.

En général on reconnaît dans la manière d'Auber un penchant très marqué à arrêter la construction rythmique des périodes ; on ne saurait nier que par là sa musique ne gagne beaucoup en clarté, ce qui est une des qualités essentielles de la musique dramatique, laquelle doit agir instantanément. En cela personne n'a été plus heureux qu'Auber, qui a réussi plus d'une fois à coordonner les situations les plus compliquées et les plus passionnées de manière à les faire comprendre au premier coup-d'œil. A cet égard, je me bornerai à citer Lestocq, une de ses productions les plus spirituelles et les plus solides. Dans cet opéra, la coupe musicale des morceaux d'ensemble nous rappelle involontairement les Noces de Figaro, de Mozart, surtout en ce qui concerne le fini du tissu mélodique.

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