Aspects de la contrebasse solitaire - QUATRIEME PARTIE : Théâtre - Intention du gesteQUATRIEME PARTIE : Théâtre > Intention du geste
C- Intention du geste
1 - Le geste et l'instrument
Kagel écrit à propos du mouvement de l'interprète : "L'idée fondamentale, c'est
de mettre la source sonore dans un état de modification : tourner, voltiger,
glisser, cogner, faire de la gymnastique, se promener, remuer, pousser, bref
tout est permis qui influence le son sur le plan dynamique et rythmique ou qui
provoque la naissance de nouveaux sons."1 Kagel rappelle la relation entre le
geste et le son engendré. Par le geste de l'instrumentiste, de nouvelles
sonorités sont créées. Tout geste est créateur d'un son, même si, comme nous
l'avons dit précédemment, le spectateur n'en est pas systématiquement conscient.
Le geste de l'instrumentiste contribue à théâtraliser la contrebasse. La caisse
par exemple devient un lieu de cachette pour l'interprète. M. Finissy, dans
Alice, demande à l'interprète de s'accroupir derrière la contrebasse, en
essayant de se cacher. Dans Zab, le contrebassiste doit jouer, la tête rentrée
derrière la caisse. Enfin, J. Richer suggère à l'interprète pour la fin de Piège
I de s'allonger derrière son instrument.
Exemple 1. Alice, de M. Finissy
Le manche, les clefs de la contrebasse deviennent espace d'un jeu théâtral,
toujours par le geste de l'interprète. Dans l'exemple 1 p. 119 , la tête glisse
le long du manche.
Exemple 1. Zab, de P. Boivin
La pique elle-même permet des mouvements de rotation de l'instrument.
Exemple : Piège I de J. Richer
" Les fa # doivent être joués en faisant faire un tour complet à l' instrument
sur lui-même. On peut inverser le sens."
Les exemples pourraient être multiples car chaque geste est unique.
Les exemples d'indépendance entre interprète et contrebasse sont rares. Le geste
du contrebassiste existe pour la contrebasse. Certains gestes, qui n'engendrent
pas directement un son sont tout de même liés à la contrebasse.
Exemple. Zab, de P. Boivin
Certains sons en revanche, ne dépendent pas de l'instrument, lorsque
l'interprète devient lui-même source sonore (claquement de doigts, claquement de
langue, utilisation de la voix), ou qu'il utilise un élément extérieur pour
produire un son.
Exemple : J'ai tant rêvé, de S. Kanach, où l'interprète doit accentuer ses pas.
Kagel écrit : "Les mouvements sont exécutés principalement par le musicien.
Il est pour cela l'instrument idéal. En outre, on peut imaginer l'emploi
d'autres moyens [...]"2 Il arrive alors que la contrebasse se déplace dans l'espace sans
l'aide du contrebassiste. A la fin de la pièce Piège I, la contrebasse doit
quitter la scène. J. Richer suggère : "Couchée au sol, à plat ou sur l'éclisse,
la contrebasse est tirée à l'extérieur par un fil de nylon invisible. S'il y a
des cintres, elle sera tirée vers le haut." Ce dernier effet de la pièce est
alors plutôt spectaculaire, par une sortie de scène non traditionnelle, certes,
mais aussi par l'envolée de cet instrument plutôt encombrant. Ces exemples
d'indépendance de la contrebasse par rapport au contrebassiste ne sont cependant
pas très répandus.
2- Présence du geste dans l'espace
Par ses gestes, "l'interprète crée sa vie scénique de façon intense et
nuancée"3. Un espace scénique naît des mouvements du corps de l'interprète, et
par eux (le plus souvent) des déplacements de l'instrument. L'existence de cet
espace scénique implique inévitablement un élargissement de l'espace sonore,
puisque le son est indissociable du geste qui le produit. Kagel écrite propos du
"podium", élément nécessaire à l'élaboration du théâtre musical : "Les nouvelles
pratiques d'exécution tendent à une synthèse du jeu instrumental, ce qui ne
nécessite ni décors, ni éclairages spéciaux, ni meubles, ni autres accessoires;
la
scène nue, la scène par elle-même offre un stimulant suffisant."4 Dans les
pièces pour contrebasse seule que nous étudions, la scène n'est effectivement
pas encombrée d'éléments "extra-musicaux". Zab impose certes une disposition
scénique : un grand tapis, deux pupitres en bois côte à côte ou une table basse
(environ 50 cm du sol), un tabouret haut pour poser l'archet. La notice ne
précise pas si "le grand tapis" délimite un espace scénique, ou si les gestes du
contrebassiste l'emmèneront au-delà de ce tapis. Dans j'ai tant rêvé, de S. Kanach, le pupitre constitue une référence concrète dans l'espace scénique. Le
compositeur demande à l'interprète de rester à quelques pas du pupitre, puis
d'amener la contrebasse devant le pupitre.
Les objets restent cependant fonctionnels, ils ne participent pas directement à
l'action théâtrale. Le geste représente ainsi l'élément primordial de
l'occupation de l'espace.
1- Mauricio Kagel. "Le théâtre instrumental", Op. cit., p. 287-8.
2- Mauricio Kagel. "Le théâtre instrumental", Op. c it., p. 288.
3- Mauricio Kagel, "Le théâtre instrumental". Op. cit., p. 288.
4- Ibid, p. 289.