Aspects de la contrebasse solitaire - QUATRIEME PARTIE : Théâtre - Notation du gesteQUATRIEME PARTIE : Théâtre > Notation du geste
B- Notation du geste
La notation du geste est problématique car le geste implique la notion d'espace.
A propos de la notation chorégraphique (en danse, le mouvement est primordial)
Paul Virilio explique : "L'espace, c'est le mouvement, c'est la qualité d'un
volume, donc c'est très difficile à noter." Toute manifestation gestuelle
appartenant à d'autres domaines (que celui de la danse cité ci-dessus), comme
celui du théâtre musical, se confronte à des problèmes similaires.
Les principes de notation peuvent de façon schématique se répartir en deux
catégories , définies par la fréquence du geste dans la partition. Un même mode
de jeu repris plusieurs fois au cours de la même oeuvre, est souvent représenté
par un symbole dans la partition. Ce symbole (idéogramme, ...) renvoie à la
notice , qui le rend explicite. La notice précise l'intention du compositeur
quant au mode de jeu, ou à l'effet sonore escompté.
Le geste théâtral est fréquemment associé au phénomène d'unicité. (Un geste peut
ne pas être reproduit au cours de l'oeuvre). Le geste est unique, et est alors
rarement répertorié dans la notice. Citons cependant Piège I de Richer :
quelques chiffres romains (I à VI) s'intègrent dans la partition, renvoyant à la
notice. Chaque chiffre n'apparaît qu'une fois, chaque geste est unique.
Exemple
:
II = "Passer l'archet dans la main gauche, le reprendre à la fin de la seconde
ligne dans la main droite, lentement."
III = "décrire un demi-cercle de gauche à droite très lentement en tournant
l'archet pour jouer crins et bois ; chacun des gestes doit être suivi du regard
par l'interprète, dont l'attitude doit être très soignée."
Dans d'autres oeuvres, le geste unique est défini dans la partition, à l'endroit
concerné. La description peut être :
- texte seul
- dessin seul
- texte et dessin réunis pour exprimer un même geste
Le texte révèle des qualités différentes d'une pièce à l'autre. Sortant (Fin II)
de Kagel (1960/...) est constitué entièrement de textes où "il n'y a ni notes,
ni signes graphiques, ou symboliques, ni aucune de toutes les dernières
conquêtes de la notation actuelle, mais où l'on trouve des mots qui décrivent
des actions que les interprètes doivent accomplir ensemble."2 Dans cette oeuvre,
plusieurs éléments marquent l'importance du geste :
- le texte décrit des gestes qui impliquent "un certain résultat sonore
prévisible"3. Kagel ne part pas du son qui suppose un geste, mais du geste qui
produit un son.
Exemple : (partie de contrebasse) "retirez le doigt lentement pour produire
comme un bruit de crécelle et tapez sur la caisse de l'instrument avec la main
droite."
- La séquence Fin II peut être jouée virtuellement, c'est-à-dire "en
reproduisant exactement les mouvements nécessaires à l'exécution du texte
musical."4
La présence d'un texte programme-d'actions, rattache l'oeuvre "exclusivement au
théâtre instrumental qui considère l'action comme l'aspect primordial du
spectacle."5 jean-Marie Colin, dans Gestique I alterne textes programmes-d'actions, avec une notation plus traditionnelle. En début de
partition, il spécifie : "Bien marquer les gestes". Ainsi, l'interprète peut
lire : "Tenir le do grave, jusqu'à la double barre, pizz même corde d'une seule
main."
L'instruction peut traduire un effet plus visuel qu'auditif. Au début de J'ai
tant rêvé, de S. Kanach "l'interprète doit porter sa contrebasse comme une
croix". La fin de l'oeuvre Lignes interrompues de J. Richer indique : "L'archet
continue sa course au-delà de l'instrument et reste fixe cinq secondes." L'effet
théâtral se situe dans le prolongement direct de l'effet sonore. Le geste qui a
impliqué l'effet sonore est ainsi mis en valeur.
Le dessin est un autre procédé de traduction du geste. Le dessin peut être
concret (représentation de la contrebasse, de l'interprète), ou abstrait (dessin
suggestif). Dans Zab, Alice, le dessin concret est très présent. La
partition de Zab est truffée de "petites figurines" qui s'intègrent à la
notation purement musicale. "Le théâtre du Nô utilise un système de
représentation analogue."6 L'attitude du contrebassiste est représentée, jusqu'à
certaines expressions de son visage.

Exemple 1. Zab de P. Boivin
Le mouvement (comme un ensemble de gestes) peut être suggéré par une
décomposition des gestes, c'est-à-dire par une succession de dessins.

Exemple 2. Zab, de P. Boivin
Souvent, le dessin s'accompagne d'un symbole suggestif, (flèche, courbe...) qui
traduit l'idée de mouvement.
Dans l'oeuvre Lignes interrompues, de J. Richer, le geste est fréquemment
suggéré, par des traits, ascendants, descendants, obliques,... :
Exemple 3. Lignes interrompues, de J. Richer
Le texte s'associe également au dessin dans un même but, pour traduire
l'intention du compositeur. Dessin et texte se complètent.

Exemple 4. Piège I, de J. Richer
Une fois encore, le phénomène d'individualisation des systèmes de notation
resurgit. Nous n'évoquons pas la notation elle-même. Il ne peut y avoir
unification des symboles puisque les procédés d'écriture sont eux -même
différents d'une pièce à l'autre. Texte, symboles, dessins, intégration ou non
du geste dans la partition, représentent la diversité des moyens d'écriture.
1- Paul Virilio, entretien avec Laurence Louppe. Danses tracées, Paris : Dis
voir, 1991, p. 47.
2- Mauricio Kagel, "Le théâtre instrumental". Cahiers Renaud-Barrault, "La
musique et ses problèmes contemporains ", 1963, p. 294.
3- Caroline Delume. "AproposdeSonant (1960/...) de Kagel", Cahiers du CREM, 4-5,
juin septembre 1987, p. 84.
4- Ibid.
5- Ivanka Stoianova. Geste texte musique, Paris : C. Bourgois, 1978, p. 86.
6- Philippe Boivin. Notice CDMC.