Aspects de la contrebasse solitaire - TROISIEME PARTIE : Exploration de l'instrument - L'exploration de l'instrumentTROISIEME PARTIE : Exploration de l'instrument > L'exploration de l'instrument
Troisième partie
L'exploration de l'instrument
I- Le timbre de la contrebasse
II- La contrebasse, instrument de percussion
I- Le timbre de la contrebasse
Depuis les années cinquante, le rôle du timbre s'affirme "non seulement
complémentaire des autres attributs du son mais prédominant, déterminant de tous
les aspects de l'oeuvre."1 Cette évolution du timbre apporte de nouvelles
réflexions. Schaeffer écrit : "le timbre d'un son peut se considérer comme une
caractéristique propre de ce son (référence à un instrument donné) sans être
clairement rapporté à un instrument déterminé. Ainsi les instruments ont un
timbre particulier, et chaque objet sonore qu'on en tire a son timbre
particulier."2 Dans les pièces pour instrument seul, il y a donc coexistence de
timbres différents provenant d'une même source, et non de timbres différents
provenant de sources différentes (si l'instrumentiste ne devient pas instrument
lui-même). Cette prise de conscience du double aspect du timbre collabore à la
richesse de l'oeuvre contemporaine.
A- Situation du timbre traditionnel
Le timbre traditionnel est obtenu par un mode de jeu classique : "Le son normal
de la contrebasse est produit par l'archet tiré ou poussé à une pression et une
vitesse qui varient selon l'intensité ; l'archet est à un emplacement
proportionnel à la longueur de la corde vibrante (quand on
joue vers l'aigu d'une corde, l'archet va proportionnellement vers le Pont.) Ce
son est traditionnellement orné d'un léger vibrato de la main gauche."3
Le timbre traditionnel, celui qui se réfère aux musiques antérieures s'impose
comme couleur principale dans quelques oeuvres. Nous pouvons citer Sérénade de
Henze (1949), Hommage à J. S. Bach de Zbinden (1969), la Sonate op. 42 de Ellis
(1975), la Sonate pour contrebasse seule de Schroeder (1975). Après les années
quatre-vingt, Lem de Donatoni (1983), In et out de Dusapin (1989),
Mantram de
Scelsi (1992), sont caractéristiques de cette tendance. Gérard Condé dans un
article sur la musique de Donatoni écrit à ce propos : [l'écriture
instrumentale] "est tout à fait classique : pas de recherches de sonorités pour
elles-mêmes, un jeu "normal" en opposition radicale avec presque tout ce qui est
fait depuis trente ans dans dans le domaine de l'exploration des possibilités
nouvelles."4 In et Out, (première partie pizzicato sempre ; deuxième partie
arco
sempre) se consacre à l'emploi des modes pentatoniques, et de quelques rythmes
caractéristiques du jazz. Mantram se présente comme une monodie simple,
ornée d'appoggiatures. Les préoccupations principale de ces oeuvres ne
concernent pas la recherche de timbres inouïs. Si elles utilisent parfois
différents modes de jeu (arco normal, sul ponticello, pizz) , ceux-ci ne constituent pas une rupture
avec le mode de jeu classique défini par Jean-Pierre Robert.
Rappelons que les qualités expressives de la contrebasse soliste (soliste face à
un orchestre) n'ont guère été exploitées avant les années cinquante qui ont
marqué l'avènement d'une littérature pour cet instrument oublié.
Le timbre traditionnel constitue un centre d'intérêt considérable. Son
utilisation permet de focaliser l'attention sur d'autres éléments.
La recherche de timbres nouveaux ne signifie pas abandon total du timbre
traditionnel. Celui-ci devient un timbre parmi d'autres. Il s'associe à d'autres
timbres provenant de la même "cause instrumentale"5. Jean Pierre Robert dit de
sa définition du timbre traditionnel qu'elle sert de référence. Cette référence
constitue un point de départ pour les recherches sonores et du timbre.
Dans de nombreuses oeuvres, le timbre traditionnel est utilisé au même titre que
les autres. Il n'y a pas de hiérarchie préexistante entre timbre traditionnel,
et timbre "nouveaux". Improvisations pour contrebasse seule de Eugène Kurtz
(1968) regorge de couleurs timbriques différentes. Le jeu "ord" marquant un
retour au mode de jeu traditionnel est présent dans la partition, mais sans
avoir plus d'importance que d'autres modes de jeu caractéristiques de l'écriture
contemporaine.
1- Claude Cadoz. "Virtualité du timbre ? Réalité de l'instrument ! ",
Analyse
musicale, 18, janvier 1990, p. 68.
2- Cité par Claude Cadoz. Ibid.
3- Jean-Pierre Robert. Modes de jeu de la contrebasse, éd. J. P. Robert, 1992.
4- Gérard Condé. Le monde, supplément radio-télé, 9-25 novembre 1990, p. 22.
5- Pierre Schaeffer, cité par Claude Cadoz. Op. cit.
Exemple 1. Improvisations pour contrebasse seule, de E. Kurtz