Aspects de la contrebasse solitaire - QUATRIEME PARTIE : Théâtre - Le geste vocalQUATRIEME PARTIE : Théâtre > Le geste vocal
IV- Le geste vocal
Nous parlions jusqu'à présent du répertoire pour contrebasse seule, il
conviendrait en fait de l'appeler répertoire pour contrebasse et contrebassiste.
Car le contrebassiste lui-même est sollicité pour pallier les besoin vocaux de
certaines oeuvres. Au geste instrumental évoqué ci-dessus s'ajoute un geste
vocal.
Les recherches constantes de sonorités inouïes, la collaboration plus étroite
entre compositeur et interprète favorisent l'élaboration d'un tel répertoire.
Donald Erb écrit à ce propos : "la musique est créée par l'interprète, elle
vient de lui plutôt que de son instrument. L'instrument est simplement un moyen.
Alors il semble logique que tous les sons que l'instrumentiste est capable de
produire puissent être intégrés à une oeuvre musicale."1 Une fonction
essentielle de la voix est de véhiculer un sens, par un discours verbal
intelligible. Bien que présente dans certaines oeuvres sous cet aspect, la voix
peut se voir assigner un tout autre rôle, lorsque ses qualités verbales sont
ignorées. L'instrumentiste devient alors instrument. La voix est utilisée pour
ses qualités timbriques et non plus pour ses qualités verbales.
A- Ressources vocales utilisées
1- Présence d'un texte
Regroupées dans ce même chapitre, les oeuvres suivantes ont en point commun,
l'utilisation d'un texte par l'intermédiaire du contrebassiste. Le texte
constitue un intérêt dramatique, voire un fil conducteur dans l'oeuvre.
- Taxi de Joëlle Léandre,
- Comme Shirley de A. Piechowska,
- Lignes interrompues de J. Richer,
- Processus II de G. Finzi
- Essay de Lombardi
La récitation, la déclamation du texte ne sont pas systématiquement
inhérentes au contrebassiste lui-même. A. Piechowska précise que Comme
Shirley peut être jouée par deux interprètes (un contrebassiste, un
récitant) ou par un seul interprète (un contrebassiste-récitant). De même pour
l'oeuvre Lignes interrompues, il est possible d'utiliser une bande avec
le texte préenregistré, ou bien l'interprète ou une autre personne peuvent dire
le texte en direct. Le texte sans perdre pour autant de son importance ne mène
pas d'action psychologique auprès d'un personnage déterminé. Au contraire, dans
La dernière contrebasse à Las Vegas, de E. Kurtz "sketch musical pour un
homme , une femme, et une contrebasse", chaque interprète est marqué par un rôle
particulier, dépendant du texte. La femme (récitante) a un problème
psychologique. Le contrebassiste doit rester serein, imperturbable, il ne doit
pas réagir aux propos de la femme. La contrebasse est l'autre pôle d'attraction,
c'est elle qui parle et réagit aux propos de la femme. Faire jouer cette pièce
par un unique exécutant serait impensable, ou alors, le sens en serait
profondément modifié.
A propos de Taxi, J. Léandre ne cite qu'un seul interprète. Il "doit
trouver son tempo, ses propres réactions au texte parlé, tout en suivant le jeu
de chaque partie musicale."2 Processus II, Essay nécessitent
également un interprète unique pour la partie récitée ou chantée et la partie de
contrebasse.
La nature du texte peut être différente d'une pièce à l'autre. Le texte de
Taxi est un témoignage de la contrebassiste elle-même (J. Léandre). :
"Peut-on prendre un taxi lorsqu'on est contrebassiste ?" Il s'agit d'un
assemblage de réflexions de chauffeurs de taxi. "Cette pièce devrait se jouer
avec l'authenticité qu'ont eue les taxis de Paris mais idem j'imagine à New-York,
Londres, Tokyo... ou bien Moscou !"3 Exemple :
"Qu'est-ce que c'est votre truc ?" "Ca doit pas rentrer dans beaucoup de
voitures" "C'est pas souvent qu'on prend des machins comme ça" [...]
"C'est un cadavre ?" "On attrape de gros bras avec ça"
Le thème du discours est donc directement lié avec celui de la contrebasse.
La dernière contrebasse à Las Vegas présente cette même caractéristique.
Le texte des oeuvres Taxi et Processus II, bien que n'ayant pas le
même sujet initial, s'achève dans un drame commun, celui de la folie. La
déstructuration des phrases, voire des mots, l'incohérence du discours sont le
reflet de cet état d'angoisse.
Exemple : Processus II, de G. Finzi "In qui sur quelque chose Remontera
du trou pris traquenard"
Comme Shirley, de Piechowska est pourvue d'un poème de Michel Butor,
chanté. Le texte de Lignes interrompues, présente trois extraits d'un
texte philosophique de Paul Kaufman tiré de L'expérience émotionnelle de
l'espace.
Le texte à encore une présence différente dans Valentine de J.
Druckman. Il s'agit d'instructions que le contrebassiste doit lire : "chuchoter
ces instructions de façon à peine audible, le plus vite possible...". Un procédé
similaire existe dans Sonant de Kagel. "Par contre, je vous prie Mr le
contrebassiste de lire ce texte à haute voix pendant que vous jouez."Le texte
perd de son intelligibilité à l'audition ; car il est chuchoté dans Valentine,
et mêlé à d'autres sons dans Sonant. Cette utilisation de la voix dans
ces deux oeuvres s'associe à des effets vocaux que nous étudierons dans une
seconde partie (partie 3-b).
1- D. Erb, cité par Bertram Turetzky. Op. cit. p. 44.
2- Joëlle Léandre. Taxi, Londres : Yorke, 1986, p. 1
3- Ibid.