Aspects de la contrebasse solitaire - QUATRIEME PARTIE : Théâtre - Le geste instrumentalQUATRIEME PARTIE : Théâtre > Le geste instrumental
III- Le geste instrumental
A- Présentation du geste
La volonté de mise en exergue du geste s'affiche avant de décrire le geste
même, par des allusions diverses dans les partitions : dans le titre (Gestique
I, de Colin), dans la partition ("Gesti prima parte", Zab de P. Boivin),
dans un avant-propos ("De ton geste naît le son, de ce son vivra ton geste",
Zab), par des effets de notation... L'interprète est averti de l'importance
qu'il doit accorder au geste. A propos du théâtre musical de Kagel, Jacques Demierre explique : "Le fait que l'instrument devienne espace de jeu et que les
mouvements des instrumentistes prennent une importance structurelle n'est pas le
fruit du hasard, mais résulte d'un continuité de pensée visant à élargir, dans
une écriture instrumentale, la notion de son et d'instrument."1 Jacques Demierre
parle d' "élargissement", la théâtralisation du geste ne constitue pas une
rupture avec une écriture plus traditionnelle. Elle permet de faire prendre
connaissance de qualités diverses sonores et scéniques, de l'instrument. Ainsi,
nous ne parlerons pas ici du geste de l'instrumentiste strictement nécessaire à
la production du son dans sa définition classique, mais de celui qui implique
une dimension théâtrale supplémentaire ; par la "continuité de pensée", il est
parfois difficile de dresser une frontière entre le geste purement instrumental
et le geste théâtral. Tous deux peuvent avoir une fonction commune, celle de
produire un son.
Le mode de jeu "mouvement circulaire de l'archet sur les cordes, avec
déplacement touche-chevalet-touche" dans Percorso F de Manzonni est
spectaculaire ; le geste qu'il implique peut capter l'attention de l'auditeur-spectateur.
Peut on parler réellement d'un effet théâtral même succinct ? Kagel explique à
propos du Concerto pour piano de J. Cage : "Insensiblement, le public dirige son
attention de plus en plus sur les actions des exécutants et néglige les bruits
et les sons qui en résultent"2 Bien que cette oeuvre (et comme certaines oeuvres
du répertoire pour contrebasse seule) ne s'apparente pas au genre du "théâtre
instrumental", le geste théâtral agissant sur le public est présent. Son effet
sonore subsiste, mais pour le spectateur, il reste en arrière-plan au profit du
geste qui l'engendre.
Zab de Philippe Boivin utilise beaucoup le mouvement de l'interprète, cette
partition est ainsi souvent citée au cours de ce chapitre, pour sa recherche de
gestes, leur notation, le rôle de l'interprète... Voici un exemple éloquent de
l'importance du geste dans Zab :
Exemple1. Zab, de P. Boivin
L'expérience de l'enregistrement de Zab par le contrebasssiste jean-Pierre
Robert témoigne de cette préoccupation du rapport entre effet sonore et effet
gestuel. L'interprète tente de transposer par les outils informatiques de
spatialisation l'émotion visuelle en émotion auditive.
1- Jacques Demierre. Op cit., p. 101.
2- Mauricio Kagel. "Le théâtre instrumental", Cahiers Renaud-Barrault, "La
musique et ses problèmes contemporains", 1963, p. 289.