Aspects de la contrebasse solitaire - PREMIERE PARTIE : Présentation de l'instrument - Le répertoire de la contrebassePREMIERE PARTIE : Présentation de l'instrument > Le répertoire de la contrebasse
II- Le répertoire de la contrebasse
A- De l'époque classique au début du vingtième siècle
La contrebasse, dans un répertoire fort peu connu se
détache de sa fonction de soutien harmonique, d'accompagnement pour acquérir une
fonction d'instrument soliste. Certes, si le répertoire pour contrebasse seule
n'apparaît que dans la seconde moitié du vingtième siècle, les concertos pour
contrebasse voient le jour dès l'époque classique. L'école viennoise contribue
largement au développement de ce répertoire naissant. Les premiers concertos
furent composés par Karl von Dittersdorf, W. Bilch. Haydn composa également un
concerto pour contrebasse, qui fut partiellement perdu.
En cette même époque, plusieurs contrebassistes virtuoses-compositeurs écrivent pour leur instrument : Joseph Kaempfer, Karl
Sperger, Franz Anton Hoffmeister laissent une littérature abondante pour cet
instrument trop souvent oublié. Le dix-neuvième siècle doit ses quelques
concertos aux contrebassistes Domenico Dragonetti, Giovanni Bottesini, Achille
Gouffé. Puis Edouard Nanny, Serge Koussevitzky, dans la première moitié du
vingtième siècle.
Malgré les efforts des contrebassistes-compositeurs pour
mettre en valeur leur instrument, le répertoire pour contrebasse jusqu'en 1950
reste maigre. Les nombreuses transcriptions réalisées par les contrebassistes
eux-mêmes aujourd'hui, sont le reflet de cette carence de littérature pour la
contrebasse (notons une abondance de transcriptions d'oeuvres romantiques).
Certains contrebassistes (Bertram Turetzky, Joëlle Léandre) collaborant
largement à l'extension du répertoire actuel pour contrebasse s'opposent au
principe de la transcription. Celui ci révèle une frustration du contrebassiste,
un non-respect du compositeur (lorsqu'il s'agit évidemment de transcriptions
d'oeuvres antérieures au vingtième siècle, qui ne peuvent résulter d'une
collaboration avec le compositeur lui-même), et surtout un désintérêt pour les
musiques de notre temps. Bertram Turetzky dit : "Dans six ans, on atteint un
nouveau millénaire, il est temps de prendre en considération le vingtième
siècle. On vit une époque contemporaine dans tous les domaines (télévision,
radio, informatique) sauf dans celui de la musique, ou l'on vit au dix-neuvième
siècle. C'est suicidaire ! "1
B- Le répertoire pour contrebasse seule : à partir de 1950
C'est grâce à la démarche de contrebassistes auprès des
compositeurs qu'un tel répertoire a pu voir le jour. Citons Bertram Turetzky aux
Etats-Unis, Joëlle Léandre en Europe, comme véritables propagateurs des musiques
de notre époque.
Bertram Turetzky réagit contre l'image de la contrebasse de
concert, amplifiée par " L'éléphant de Saint Saens, Le ballet des
sylphes de Berlioz, ou Le songe d'une nuit d'été de Mendelssohn."2
Dans les années cinquante, Turetzky fait des recherches sur son propre
instrument, afin de faire prendre conscience aux compositeurs des ressources de
la contrebasse : "Je peux assurer que la contrebasse est l'instrument à cordes
aux possibilités les plus diversifiées."3proclame t'il. Ses efforts
ne furent pas vains. En 1974, lorsqu'il publie son ouvrage The contemporary
contrabass, plus de 150 pièces de compositeurs divers ont déjà été écrites
pour lui, ou grâce à lui.
La démarche de Joëlle Léandre fut similaire, vingt ans plus
tard. S'inquiétant dans les années 70 pour l'avenir de son instrument, dotée
d'une personnalité curieuse, elle fait appel aux maisons d'éditions en Europe.
Mais c'est aux Etats Unis, qu'elle découvre "que l'on pouvait écrire pour la
basse seule"4. Commence alors une période de découverte de ce
répertoire. De retour en Europe, elle sollicite à son tour les compositeurs
comme l'avait fait Bertram Turetzky, vingt ans plus tôt. Nous avons pris
l'exemple de ces deux contrebassistes, symbole de la recherche de musiques
nouvelles mais de nombreuses autres pièces furent écrites pour d'autres
contrebassistes :
- In et Out de Dusapin, Fantasia Oscura de Marc Monnet pour
Jean Paul Céléa
-Théraps de Xénakis, Convergence II de Taira pour Fernando Grillo
- Zab de Philippe Boivin pour Jean Pierre Robert
- Crypte de Daniel Meier pour Elisabeth Vanthomme
Après s'être attardé sur la manière dont ce répertoire s'est constitué, il
convient de définir le répertoire lui-même ou du moins les pièces qui ont retenu
notre attention pour la présente étude (voir liste ci-après)5.
1949 |
Sérénade |
HENZE |
1968 |
Improvisations pour contrebasse seule |
KURTZ |
1969 |
Valentine |
DRUCKMAN |
1969 |
Hommage à J. S. Bach |
ZBINDEN |
1971 |
A. Mi. K. Giao Trahn |
DAO |
1972 |
Nuits |
SCELSI |
1974 |
Lignes interrompues |
RICHER |
1975 |
Alice |
FINISSY |
1975 |
Essay |
LOMBARDI |
1975 |
Sonate |
SCHROEDER |
1976 |
Cestique I |
COLIN |
1977 |
Sonate |
ELUS |
1976 |
Percorso F |
MANZONNI |
1976 |
Capriccio |
MASTROCIOVANNI |
1976 |
Macknongam |
SCELSI |
1976 |
Convergence II |
TAIRA |
1976 |
Théraps |
XENAKIS |
1978 |
Comme Shirley |
PIECHOWSKA |
1979 |
J'ai tant rêvé |
KANACH |
1979 |
Piège I |
RICHER |
1981 |
Zab, ou la passion selon Saint Nactaire |
BOIVIN |
1983 |
Lem |
DONATONI |
1984 |
Episode huitième |
JOLAS |
1985 |
La signature, la date, etc... |
APERGHIS |
1986 |
Processus II |
FINZI |
1986 |
Crypte |
MEIER |
1987 |
Mantram |
SCELSI |
1989 |
In et Out |
DUSAPIN |
1989 |
Trittico per G. S. |
FERNEYHOUGH |
1989 |
Fantasia Oscura |
MONNET |
1990 |
Cinq algorithmes |
BOIVIN |
1991 |
Silence IV |
LEANDRE |
1991 |
Taxi |
LEANDRE |
Le nombre de pièces choisies ne constitue qu'une petite
parcelle du répertoire. Des compositeurs tels que Philippe Hersant, Philippe Fénélon, Jean-Yves Bosseur... se sont également intéressés à la contrebasse. Le
manque d'information à propos de ces oeuvres, inédites, non enregistrées nous
contraint à les passer sous silence. Une liste plus complète des oeuvres pour
contrebasse seule les cite, en annexe.
La plupart des oeuvres proviennent (intentionnellement) de
compositeurs européens (beaucoup proportionnellement sont italiens). Cependant
certaines pièces d'auteurs américains comme Valentine de Druckman,
Improvisations pour contrebasse seule de Eugène Kurtz constituent des
oeuvres maîtresses du répertoire, et s'intègrent dans notre corpus d'étude. Ces
oeuvres sont d'ailleurs composées avant 1970, ce qui correspond au résultat
(même indirect) des recherches de Bertram Turetzky effectuées à partir des
années cinquante. Dès les années soixante-dix, les oeuvres se font plus
nombreuses en Europe. La contrebasse se fait remarquer, "connaître" auprès des
compositeurs.
Sans constituer une présentation de chaque compositeur, il
semble important de les situer, chronologiquement. Deux générations peuvent se
distinguer :
- Une première regroupe les compositeurs nés avant 1940 : Cage, Henze, Kurtz,
Druckman, Scelsi, Donatoni, Xénakis, Aperghis, Femeyhough, Jolas...
- Une seconde regroupe les "jeunes " compositeurs : Dusapin, Kanach, Boivin,
Léandre...
Les pièces Valentine, de Druckman, Improvisations
pour contrebasse seule de Kurtz représentent une exploitation nouvelle des
ressources de la contrebasse. Elles ont fait largement avancer l'écriture de la
contrebasse. Avec ces oeuvres, et le potentiel créatif qui accompagne encore les
suivantes, on peut parler d'une évolution flagrante de l'écriture pour la
contrebasse. Evolution de sa fonction : accompagnatrice, elle devient soliste ;
ce qui implique inévitablement une évolution dans l'exploration de ses
ressources sonores.
Le répertoire pour contrebasse seule est constitué de pièces
les plus diverses, dans leur conception, leur objectif. Cependant, plusieurs
axes de recherche émergent, et qui le plus souvent s'entrecroisent au sein d'une
même oeuvre :
- Recherche de théâtralité : Kurtz, Druckman, Richer, Kanach, Léandre...
- Travail sur le son (l'intérieur du son) : Scelsi
- Performance technique : Xénakis, Ferneyhough...
- Ecriture plus traditionnelle : Henze, Ellis, Zbinden, Meier, Donatoni...
- Interaction avec le jazz : Dusapin...
1- Bertram Turetzky. Conférence, Festival international de contrebasse,
Avignon, août 1994.
2- Bertram Turetzky. The contemporary contrabass, Berkeley : University
of California Press, 1974, p. vii
3- Bertram Turetzky.Conférence, Op. cit.
4- Joëlle Léandre. La revue de la contrebasse en France, 6, juin-juillet
1994, p. 6.
5- Les oeuvres pour contrebasse et dispositif électronique ne font pas partie
des oeuvres considérées dans cette étude. Elles créent une trop grande ouverture
sur un domaine spécialisé.