Aspects de la contrebasse solitaire - QUATRIEME PARTIE : Théâtre - La contrebasseQUATRIEME PARTIE : Théâtre > La contrebasse
B- La contrebasse
Jacques Demierre écrit à propos du théâtre musical de Kagel : "L'instrument
n'est plus exclusivement de musique, il peut devenir de théâtre, son échelle est
mobile et s'adapte aux besoins du compositeur."1 Tout instrument
possède ainsi des qualités théâtrales. La contrebasse pour plusieurs raisons,
semble favorable à l'instauration d'une théâtralité.
Par tradition, la contrebasse est un instrument d' accompagnement. De ce
fait, elle reste assez méconnue du public. Les pièces pour contrebasse seule,
apparues dans la seconde moitié du vingtième siècle permettent une mise en
valeur totale de l'instrument (et de l'instrumentiste). L'exécution de telles
oeuvres revêt ainsi un aspect spectaculaire car il y a au départ une mauvaise
connaissance de l'instrument, de ses ressources spécifiques, ce qui engendre une
certaine curiosité de la part du spectateur.
Spectaculaires aussi sont ces modes de jeu apparus avec l'avènement d'un
répertoire pour la contrebasse. Spectaculaires par le geste qui les engendre, ou
par leurs effets. Les dimensions de l'instrument sont responsables de gestes
parfois démesurés : jouer sur le cordier, la pique, ou le sillet oblige
l'interprète à réaliser des gestes inhabituels dans un jeu traditionnel. Les
effets sonores, nous l'avons vu dans le chapitre consacré au timbre de la
contrebasse, sont des plus divers, et parfois encore favorable à l'effet
théâtral. La contrebasse n'imite-t'elle pas tour à tour l'agneau, le bébé, le
tigre, le lion, dans La dernière contrebasse à Las Vegas, de E. Kurtz ?
Ces effets sont parfois spectaculaires mais pas systématiquement théâtraux, du
moins dans l'intention du compositeur. Mais le public reçoit d'une façon
différente les sonorités, les effets visuels.
Par son aspect même, la contrebasse peut être considérée comme théâtrale. "La
contrebasse, c'est gros, c'est lourd, quand quelqu'un entre en scène, on a envie
de rire... c'est burlesque en même temps."2 explique Joëlle Léandre.
Les contrebassistes parlent de son "cou de girafe", de sa "petite tête"... La
contrebasse est physiquement très présente. Patrick Süskind exagère t'il alors
vraiment lorsqu'il fait dire à son personnage dans La contrebasse, que
cet instrument est une personne supplémentaire dans une pièce : "elle est là qui
surveille tout."3 Et de même, lorsque E. Kurtz écrit pour le récitant
de La dernière contrebasse à Las Vegas : "Et si jamais vous vous sentez
seul, elle vous tient compagnie tellement bien." La contrebasse assure une
présence dans l'espace, favorable à l'élaboration d'une oeuvre théâtrale. Brian
Ferneyhough écrit que "la prise de conscience de cette présence corporelle de
l'instrument assimile celui-ci au décor scénique.4
1- J. Demierre. "Mauricio Kagel, entre musique et théâtre", Contrechamps,
4, avril 1985, p. 102.
2- Joëlle Léandre. Documentation CDMC.
3- Patrick Suskind. La contrebasse, Paris : Fayard pour la trad. française,
1989, p. 27.
4- Brian Ferneyhough, entretien avec Philippe Albera. "Parcours de l'oeuvre",
Contrechamps, 8, février 1988, p. 29.