Aspects de la contrebasse solitaire - TROISIEME PARTIE : Exploration de l'instrument - Modes de jeu exceptionnelsTROISIEME PARTIE : Exploration de l'instrument > Modes de jeu exceptionnels
2- Modes de jeu exceptionnels
Les modes de jeu dits exceptionnels résultent d'une exploration, d'une
exploitation extrême des qualités sonores de la contrebasse. Le développement de
modes de jeu parfois uniques, et extravagants reflète le désir d'utiliser au
maximum les richesses de l'instrument, et celui d'obtenir toujours des sonorités
nouvelles. Les dimensions mêmes de l'instrument donnent à certaines sonorités
engendrées un caractère particulier, d'autres modes de jeu deviennent
spectaculaires, toujours par la taille de l'instrument (ex : jeu sur l'attache
cordier). Nous pouvons de façon schématique les répertorier en plusieurs
catégories.
- L'archet sur les cordes : en amont de la main gauche, derrière le chevalet,
archet renversé (double corde I IV), jeux de pression d'archet.
- Emplacement de l'archet : sur le sillet, sur le chevalet, l'attache cordier,
le cordier, la pique... chaque parcelle de la contrebasse capable d'entrer en
vibration, donc de produire un son est explorée.
- Abandon de l'archet : modes de jeux pizzicato divers, modes de jeux percussifs
(cf. chapitre II), utilisation d'une baguette de timbale (Valentine de Druckman).
- Chaque geste inscrit dans une oeuvre musicale peut être considéré comme un
mode de jeu. Jouer contrebasse retournée, regarder son instrument, le coucher à
terre... sont encore d'autres mode de jeu.
De nombreuses informations sur les qualités sonores de chaque mode de jeu, sur
les limites de ces modes de jeu existent dans l'ouvrage du contrebassiste
Jean-Pierre Robert, Modes de jeu de la contrebasse. En annexe1, figure un
tableau récapitulatif, de modes de jeu rencontrés dans
les oeuvres étudiées, du répertoire pour contrebasse seule.
Outre l'exploration de l'instrument, ces modes de jeu ont en commun une notation
peu standardisée, une notation individualisée. Les systèmes de notation varient
eux-mêmes d'une partition à l'autre : idéogrammes, dessins, texte, symboles
divers peuvent exprimer un mode de jeu d'allure similaire. Chaque compositeur
tente de traduire sur le papier la sonorité, le timbre, ou le geste envisagés.
Quelques exemples choisis illustrent ce phénomène.
- pizzicato harmonique doigté par le pouce, la corde étant tirée par le 2ème
ou 3ème doigt (Improvisations, Kurtz)
- pizzicato harmonique, main gauche seule, doigté par le pouce, pincer la
corde avec le 2ème ou 3ème doigt (Valentine, Druckman)
- jouer sur les cordes derrière le chevalet (Zab, Boivin)
- derrière le
chevalet (A. Mi. K. Giao Trahn, Dao)
- jouer derrière le chevalet (Gestique
I,
Colin)
L'apparition de ces modes de jeu caractéristiques des musiques récentes provient
d'une évolution de la démarche des compositeurs. La première étape primordiale
de cette évolution réside dans la conception même d'un répertoire pour
contrebasse seule. De là, naît un désir de transcender cet instrument
d'accompagnement, de faire prendre conscience non seulement de ses possibilités
mélodiques, mais encore de richesses sonores multiples, qui doivent leur
existence à la facture même de l'instrument. De cette démarche, découle la
création de modes de jeu exceptionnels.
Avant les années soixante-dix, dans Improvisations pour contrebasse seule de E. Kurtz,
Valentine de J. Druckman, les modes de jeu apparaissent déjà extrêmement
diversifiés. Joëlle Léandre considère Valentine comme l'oeuvre centrale du
vingtième siècle3. Le compositeur, par sa recherche personnelle sur les qualités
sonores de la contrebasse, a énormément apporté à l'instrument. Bien évidemment,
ces oeuvres maîtresses Improvisation, et Valentine, ne représentent pas les
limites de l'exploration de l'instrument. D'autres oeuvres introduisent encore,
et pourront toujours introduire d'autres modes de jeu. L'imagination propre de
chaque compositeur crée de nouveaux gestes instrumentaux, de nouvelles idées
sonores. Cependant, Valentine, constitue une référence dans le domaine de la
recherche de modes de jeu exceptionnels. Dans les pièces que nous avons
répertoriées, une autre oeuvre se distingue par la multiplicité des modes de jeu
exceptionnels employés : Zab, de Philippe Boivin, composé en 1981, avec la
collaboration du contrebassiste Jean-Pierre Robert. Dans d'autres oeuvres, ils
peuvent apparaître, en moins grand nombre, mais tout aussi uniques.
Tracer une courbe de l'évolution de l'utilisation de modes de jeux
exceptionnels, parait difficile, car les préoccupations des compositeurs, si
elles concernent l'effet sonore, ne s'attachent pas systématiquement à la
recherche de tels modes de jeux. Les sonorités engendrées n'en sont pas moins
riches. Nous avons déjà évoqué Théraps de Xénakis, les oeuvres de Scelsi,
A. Mi.
K. Giao Trahn de Dao, Episode huitième de Jolas... qui donnent au son une
dimension nouvelle par l'assemblage de notes dérivées d'un jeu traditionnel.
Les effets extravagants, s'ils peuvent sembler caractéristiques du jeu de
contrebasse, ne sont qu'un des aspects de l'écriture des oeuvres considérées.
Chaque compositeur fait évoluer la recherche de l'exploration de l'instrument.
C'est cette individualisation des modes de pensée, des systèmes d'écriture, qui
crée la richesse du catalogue des sonorités de la contrebasse.
1- Annexe 2 p. VII.
2- F. Nicolas. "Visages du temps : rythme, timbre et forme.", Entretemps, 1,
avril 1986, p. 48.
3- Joëlle Léandre. Entretien, août 1994.