Aspects de la contrebasse solitaire - DEUXIEME PARTIE : Quelques aspects de l'écriture - Nouvelles techniques pour des nouveaux modes de jeuDEUXIEME PARTIE : Quelques aspects de l'écriture > Nouvelles techniques pour des nouveaux modes de jeu
C- Nouvelles techniques pour des nouveaux modes de jeu
L'exécution d'une oeuvre de musique contemporaine demande à l'interprète de
s'adapter à un nouveau langage. La notation est souvent transformée, les
exigences du compositeur différentes, de nouvelles techniques se développent que
le contrebassiste doit maîtriser. La frontière entre techniques du passé et
techniques récentes est floue. Une étude des modes de jeu montre l'emprise du
passé, les techniques traditionnelles ne sont pas reniées, elles subissent une
réactualisation.
Le développement du pizzicato implique un jeu de main droite particulier,
directement empreint de techniques qui semblaient spécifiques au jazz. Les
oeuvres In et Out de Dusapin, Fantasia Oscura de Marc Monnet, Cinq algorithmes
de Philippe Boivin (Interpolation) utilisent le mode de jeu pizzicato
traditionnel de façon virtuose (sans que les pièces ne s'apparentent
systématiquement au style jazz). Marc Monnet, par exemple, précise dans la
partition Fantasia Oscura : "le plus rapide possible avec un pizz le plus sec
possible en gardant une articulation la plus claire possible."
Le développement des ressources percussives de la contrebasse amène encore
l'interprète à découvrir, à se soumettre à de nouveaux modes de jeu qui
s'éloignent de l'utilisation traditionnelle de la contrebasse. La recherche du
son demandé est inaccoutumée pour un instrumentiste à cordes. Techniquement, les
modes de jeux percussifs peuvent représenter une réelle difficulté. Dans Zab,
les exigences
gestuelles sont extrêmement précises, le contrebassiste doit par son jeu évoquer
le joueur de zarb.
Le mode de jeu peut consister à faire participer l'interprète lui même, devenu
source sonore. Une nouvelle forme de virtuosité se développe. Nous ne parlons
pas ici des qualités théâtrales, que doit posséder le contrebassiste, mais de la
difficulté pour lui, de mener deux actions simultanées : celle de jouer tout en
parlant, en chantant, tout en utilisant son propre corps à des fins sonores.
Cette écriture demande de la part de l'interprète une indépendance entre sa voix
et son jeu instrumental. Dans le répertoire pour contrebasse seule, les
compositeurs s'attachent fréquemment à ce type d'écriture qui donne à
l'interprète une double fonction. Bertram Turetzky évoque à ce propos, la pièce
Failing du compositeur américain, Johnson1. Cette pièce associe jeu instrumental
et voix de l'interprète d'une façon très virtuose. Le sujet du texte à réciter
concerne lui-même cette virtuosité, et les risques pour le "récitant-contrebassiste"
de se tromper. Joëlle Léandre explique : "La pièce est très difficile , et on a
le droit de se tromper, de s'arrêter puisque c'est le fait même de la pièce.
Mais en même temps, le texte dit qu'il faut continuer à se tromper, donc la
pièce continue..! "2
Les techniques appelées "nouvelles" ne relèvent pas systématiquement de la
performance technique. La virtuosité reste présente, car l'interprète doit
toujours s'adapter à l'écriture en respectant les exigences du compositeur.
Jouer sur les éléments rattachés à la contrebasse (attache-cordier, cordier,
pique, sillet...) constituent une difficulté dès l'instant où le contrebassiste
s'attache à traduire les
intentions du compositeur. D'autres difficultés apparaissent dans l'enchaînement
de modes de jeu différents.
Un tableau situé en annexe3 répertorie quelques modes de jeu propres à la
musique contemporaine.
La virtuosité n'est pas simplement performance technique, elle correspond
également à la qualité d'interprétation du contrebassiste, à sa capacité
"d'intégrer les techniques traditionnelles aux techniques récentes, et de passer
des unes aux autres dans une oeuvre avec vélocité."4 La virtuosité peut encore
être recherchée , pour la dimension expressive qu'elle confère à l'oeuvre. Elle
constitue une source d'émotion, et "stimule de nouvelles possibilités
d'écriture."5
1- Conférence, Festival international de contrebasse, Avignon, août 1994.
2- Ibid.
3- Annexe 2 p. VII
4- Philippe Albera. "Introduction aux neuf Sequenzas de Berio", Musique en jeu,
1, septembre 1983, p. 91.
5- Martine Cadieu, "Entretien avec Betsy jolas", Les lettres françaises, février
1968.