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Dix écrits de Richard Wagner - De la musique allemande (5/7) > De la musique allemande (5/7) Il n'est pas superflu de faire remarquer cette disposition
naturelle, qui initie si promptement le génie allemand aux créations homogènes
des peuples voisins, et lui procure ainsi de nouveaux éléments d'études, un
nouveau sol qu'il s'approprie en le fécondant, un nouvel horizon où d'une aile
hardie et rapide il a bientôt franchi les limites, jusque-là respectées par ses
devanciers comme le nec plus ultra de la spécialité. C'est en quelque sorte un
trait caractéristique de l'art allemand que d'aller puiser aux sources
étrangères, pour enrichir sa patrie de ce qui lui manque, en perfectionnant
l'objet de ses emprunts, et le transformant de manière à en faire le point de
mire de l'admiration du monde entier. Mais pour obtenir toutefois un pareil
résultat, il ne suffisait pas de s'approprier par une adroite substitution les
qualités d'une école étrangère, il fallait aussi avoir conservé comme un
patrimoine sacré la tradition du génie patriotique, qui consiste ici dans la
pureté du sentiment et la chasteté de l'inspiration. Grâce à un pareil trésor,
l'Allemand, en quelque lieu où il se trouve, dans quelque langue qu'il
s'exprime, peut être sûr de conserver sa supériorité.
Nous voyons en effet que ce fut un Allemand qui perfectionna en Allemagne,
ennoblit et agrandit l'opéra italien. Ce rare et divin génie, ce fut Mozart.
L'histoire de la vie et des progrès de cet artiste incomparable résume en
quelque sorte l'histoire de l'art allemand tout entier. Son père était musicien
; il reçut donc dès l'enfance une éducation musicale, qui, sans doute, n'avait
d'autre but que de faire de lui un honnête virtuose capable de subvenir à sa
propre existence par l'exercice de son talent. Dès son plus jeune âge, il fut
assujetti à l'étude de la théorie scientifique et des difficultés de
l'application, et l'adulte n'avait plus rien à apprendre à cet égard. Mais doué
aussi d'une âme tendre et pieuse et d'une organisation délicate, il sut bientôt
s'approprier les secrets intimes de l'art, jusqu'à ce qu'enfin son génie
transcendant relevât sur un piédestal sacré, au-dessus de toutes les célébrités
anciennes ou contemporaines. Resté toute sa vie pauvre et nécessiteux, et
constamment rebelle aux tentations et aux avances de la fortune, il personnifie,
surtout en lui, par ces qualités privées, le caractère national. Poussant la
modestie jusqu'à la timidité, le désintéressement jusqu'à l'oubli de lui-même,
il créa des œuvres prodigieuses, et légua à la postérité d'inestimables trésors,
sans se croire un autre mérite que celui d'avoir obéi à son instinct de
producteur. Quelle autre existence d'artiste pourrait nous
offrir une plus digne leçon et un emblème plus touchant ?
Mozart accomplit cette œuvre avec la toute-puissance qui, je l'ai déjà dit,
appartient en propre à la haute portée du génie allemand. Il s'empara si bien du
genre de la musique italienne, qu'il s'y créa un domaine qui n'appartiendra
jamais qu'à lui. Ses opéras furent écrits dans cette langue parce qu'elle
passait alors pour la seule qui convînt à la déclamation lyrique ; mais il sut
se garantir de tous les défauts inhérents à la méthode italienne, tandis qu'il
ennoblit toutes ses qualités en les fondant si habilement avec la délicatesse et
l'énergie du style allemand, qu'il produisit enfin quelque chose d'absolument
neuf, et. fait pour servir de modèle. Ce fut aussi le plus beau fleuron, l'épi
le plus fertile de notre couronne dramatique ; et c'est à cela que l'Allemagne
doit de pouvoir citer son école indigène de musique dramatique, car c'est
seulement à dater de là que s'ouvrirent nos théâtres nationaux, et que nos
musiciens composèrent des opéras sur des paroles allemandes.
Toutefois, avant l'avènement de cette époque mémorable, pendant que Mozart et
ses prédécesseurs empruntaient aux modèles italiens des inspirations nouvelles,
il se formait une autre école de drame lyrique populaire dont la combinaison
définitive avec le genre italien produisit le véritable opéra allemand. Je veux
parler des opérettes exécutées pour les masses, sans la participation de la classe
aristocratique, et conformes à leurs mœurs simples et franches. Ces opérettes
ont évidemment plus d'un point de rapport avec l'ancien opéra-comique français.
Le sujet appartenait ordinairement aux traditions et aux mœurs des classes
inférieures; ils étaient du genre comique pour la plupart, et animés d'un esprit
naturel et sans recherche. C'est à Vienne qu'il faut placer le foyer originel de
ce genre de spectacle ; du reste, c'est à Vienne que s'est le mieux conservé de
tout temps le vrai caractère populaire, privilège que cette ville doit sans
doute à l'esprit de naïveté et de gaieté de ses habitants ; car ceux-ci ont
toujours été séduits avant tout par le côté comique des choses et par les traits
naturels qui s'alliaient avec leur imagination enjouée. C'est donc Vienne qui a
le plus encouragé les débuts de l'opéra populaire. D'abord les compositeurs de
ces petits opéras se bornaient à des lieder et à des ariettes détachées ; mais
on y trouve pourtant quelquefois, comme dans la charmante comédie du Barbier de
village, des morceaux caractéristiques tout à fait propres à donner plus tard
une importance réelle à ce genre spécial sacrifié presque absolument à
l'envahissement du grand opéra. Avant cette commune fusion il était déjà parvenu
pourtant à un certain degré d'éclat; et une chose digne de remarque, c'est qu'à
la même époque où Mozart
traduisait ses opéras italiens en allemand pour les dédier à ses compatriotes,
ces opérettes acquéraient de jour en jour une forme plus attrayante, due en
partie au soin que prenaient les auteurs de choisir leurs sujets dans les
traditions populaires, et dans les contes de fée si affectionnés par la rêverie
allemande. ***
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