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Dix écrits de Richard Wagner - De la musique allemande (4/7) > De la musique allemande (4/7) Nous tâcherons une autre fois de
démontrer comment tous les genres de musique en Allemagne reposent sur la même
base.
J'ai dit, dans l'article précédent, d'où [??????] préférence que les Allemands donnent
a [??????] instrumental sur la musique vocale ; cela [??????]
pêche pas que celle-ci n'ait reçu aussi ses développements, et, de même que
l'autre, un caractère spécial que lui ont imprimé l'organisation naturelle de ce peuple et ses penchants intellectuels. Mais jamais pourtant, même dans le genre dramatique, le plus susceptible de perfection,
elle n'a atteint le même
degré d'élévation et d'éclat qui fait la gloire de sa rivale. C'est dans le
genre sacrée
surtout que la musique vocale a fait ses preuves en Allemagne, et dans les églises
protestantes, car le culte catholique est l'exception. L'opéra était devenu la
proie du genre italien. Quant à la prédominance du protestantisme, elle
s'explique encore par cette simplicité native des
mœurs allemandes qui devaient bien moins sympathiser avec les cérémonies pompeuses de la
liturgie catholique qu'avec les
modestes pratiques de la religion réformée. Les usages et l'apparat du culte catholique ont été importés en Allemagne par
vanité de quelques
princes ou grands seigneurs, et là, les compositeurs allemands n'ont fait que reproduire plus ou moins
les modèles du style italien. Mais au
lieu de cette magnificence d'emprunt, le vieux choral accompagné par l'orgue et chanté par toute ta communauté suffisait
aux
vieilles églises protestantes. Ces chants dont l'imposante dignité et la pureté
naïve s'alliaient [??????] avec des cœurs droits et simples, sont
[??????] un fruit naturel du génie allemand, et
la [??????]e du choral en porte le cachet distinctif. [??????]mour national du Lied s'y révèle
en effet dans certaines strophes brèves et empreintes d'une extrême ressemblance
avec d'autres chansons profanes, mais également consacrées à l'expression des
sentiments nobles et touchants. Mais les harmonies riches et vigoureuses qui
servent d'accompagnement à la mélodie populaire, témoignent surtout du sens
profond qu'attachent les artistes allemands à la science musicale. C'est le
choral, l'une des créations les plus intéressantes que présente l'histoire de
l'art, qu'il faut regarder comme le type de toutes les productions musicales de
l'église protestante, base solide sur laquelle la science a fondé une œuvre
complète, et édifié un vaste et superbe monument.
Les motets furent le premier, le plus intime développement de la forme du
choral. Souvent les mêmes airs en fournissaient les thèmes, et ils étaient
exécutés en chœur sans aucun accompagnement. Les plus belles compositions de ce
genre sont celles de Sébastien Bach, auquel on ne saurait refuser, du reste, la
première place comme compositeur sacré, du moins pour la musique protestante.
Les motets de ce maître, qui ont joué le rôle du choral dans l'office divin
(avec cette différence qu'au lieu d'être chantés par la communauté, l'exécution
en était confiée, à cause de
leurs difficultés, à des artistes spéciaux), sont sans contredit l'œuvre la plus
accomplie de musique vocale que nous possédions en Allemagne. Outre
l'application merveilleuse des plus riches ressources de la théorie, toutes ces
compositions respirent une intelligence profonde, naturelle et souvent poétique
du texte, tout à fait conforme au dogme protestant. Et de plus, le tissu délicat
de leur forme extérieure est tellement parfait et original, qu'on ne saurait
rien mettre en parallèle. Les mêmes qualités se retrouvent au même degré, sur
une échelle plus vaste, dans les grands oratorios et dans les passions,
compositions spéciales consacrées à la célébration des souffrances de
Jésus-Christ, d'après la version des évangiles. Le texte est donc invariable,
mais dans certains passages des chapitres principaux, ayant trait aux
circonstances les plus touchantes du récit sacré, Sébastien Bach fait intervenir
une sorte de choral que doit exécuter toute l'assistance. C'est ce qui fait de
ces passions de graves solennités, où le peuple prend autant de part que les
interprètes de l'art musical. Il est difficile d'exprimer en effet tout ce
que ces chefs-d'œuvre magnifiques renferment de grandeur et de majesté, alliées
à une pureté de goût, à une suavité religieuse incomparables. On peut dire
qu'en eux sont concentrés toute l'inspiration et le génie allemands ; et
j'ai déjà dit, à l'appui de cette assertion, qu'il ne fallait en rechercher la
source
que dans le moral et les sentiments de la nation.
C'est donc l'instinct
populaire qui a été le créateur, en Allemagne, de la musique religieuse. La
musique dramatique n'y a jamais provoqué des besoins du même genre. L'opéra, dès
son origine sur les scènes d'Italie, avait déjà pris des allures si pompeuses et
si mondaines, que cette forme de l'art ainsi dirigée ne pouvait plus devenir un
motif de puissante attraction pour l'Allemand, pensif et sentimental. Avec le
cortège de ses ballets et de ses décorations, ce spectacle grandiose paraissait
exclusivement dévolu aux plaisirs des grands et des princes ; prévision
confirmée par l'événement, du moins durant les premiers temps de son
introduction en Allemagne. L'effet des démarcations aristocratiques devait donc
exclure le drame lyrique des divertissements populaires ; aussi, pendant toute
la durée du siècle dernier pour ainsi dire, l'opéra ne fut considéré en
Allemagne que comme une importation étrangère. Chaque cour avait sa troupe de
chanteurs italiens qui n'exécutaient que de la musique italienne, et l'on
n'imaginait pas même qu'un opéra pût être écrit et chanté autrement qu'en
italien. Ainsi, le compositeur allemand à qui il prenait fantaisie de faire un
opéra, devait commencer par apprendre la langue, et puis se rendre familières la
méthode et la facture italiennes, et il n'avait la chance de se faire accueillir
qu'autant qu'il avait abjuré absolument l'art et le caractère national. Il arriva cependant fréquemment que la
palme du genre fut décernée à des musiciens allemands, car leur aptitude
universelle pour les beaux-arts leur frayait une route facile, même sur ce
terrain étranger. ***
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