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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Halévy et la reine de Chypre (8/9) > Halévy et la reine de Chypre (8/9)

La toile se lève. Nous sommes à Venise, au milieu de palais et de canaux : ni arbres ni champs verdoyants ne se montrent à nos regards ni même à notre imagination. Il y a pourtant une fleur qui croît en ces lieux, c'est l'amour de Gérard et de Catarina. Frais et pur comme la brise du soir, glisse vers nous le chant si simple et si joyeux par lequel Gérard annonce de loin sa venue à l'amante qui l'attend. Il y a là un élan de désir tendre et naïf, et en même temps une décision courageuse qui nous initient au caractère du jeune homme. Pour concilier tout d'abord nos sympathies aux deux amants, le compositeur a mis tout ce que son art a de plus enchanteur dans le duo où ils exhalent les sentiments qui les enivrent. Le jour sombre sur lequel se dessinent ces deux charmantes figures apparaît même à travers ces chants si brillants et si éclatants de bonheur comme un nuage sinistre, et leur communique un caractère particulier d'intérêt mélancolique. Rien n'égale en noblesse et en grâce la magnifique mélodie de la dernière partie de ce duo. La disposition et l'intention de ce thème seul suffiraient pour constater ce que j'ai dit plus haut, au sujet de la mélodie dramatique, telle que la comprend Halévy, Avec cette gracieuse tendresse, et quoiqu'elle soit parfaitement claire et qu'elle se comprenne à l'instant, cette mélodie est exempte, de toute manière, de toutes ces coupes arrêtées auxquelles ceux de nos auteurs contemporains, qui visent à la popularité quand même, ont coutume d'assujettir ces sortes de motifs ; elle est disposée de manière à ce que l'on ne puisse lui assigner aucune origine, ni française, ni italienne, ni autre ; elle est indépendante, libre ; elle est dramatique dans toute l'acception du terme.

Cette gracieuse scène d'amour qui éveille des sentiments si doux, est en quelque sorte consacrée par le trio suivant entre les précédents et le père de Catarina. On dirait que tous deux, poète et compositeur, ont voulu nous faire oublier que nous sommes à Venise, en nous peignant sous des couleurs ravissantes un bonheur qui ne devait pas se rencontrer souvent dans les palais de cette dure et orgueilleuse aristocratie vénitienne. La prière : O vous, divine Providence est une hymne de reconnaissance qui monte vers le ciel du cœur de mortels heureux. L'apparition de Mocénigo nous révèle l'intention du poète : il ne pouvait produire un plus puissant effet qu'en faisant paraître le prophète de malheur au moment même où nos cœurs s'abandonnent à la quiétude où nous ont plongés les scènes précédentes. Cet effet, le compositeur a le mérite de l'avoir rendu par des moyens très simples, sans aucune bizarrerie ni affectation. Toute cette scène est de main de maître, ainsi que la suivante entre Mocénigo et Andréa. Ici se présentait une grande difficulté. En effet, il ne s'agissait point d'exprimer l'énergie fougueuse des passions ; il fallait peindre la réserve, la tranquillité froide et calculée dont s'enveloppe l'ambition. Ce qu'il y a de sombre et de terrible dans ce Mocénigo qui va porter le trouble au sein de tant de bonheur, dans cet impitoyable représentant d'une corporation puissante, ne pouvait être plus heureusement caractérisé que nous ne le trouvons dans cette scène. On ne sait ce qu'on doit admirer le plus, de la simplicité des moyens que le compositeur a mis en usage, ou de ce tact si sûr qui l'a décidé à faire choix de moyens aussi simples. Ce qui prouve que l'auteur procède ainsi à bon escient, c'est qu'il fait un usage très modéré de l'orchestre : il a prudemment renoncé à tous ces éclats d'une instrumentation bruyante, qu'il manie pourtant avec une supériorité incontestable; et c'était, en effet, par cette sobriété seule qu'il pouvait arriver à conserver à cette situation son expression dramatique. Le passage où l'orchestre caractérise si heureusement cette politique sombre et insidieuse du Conseil des Dix, et qui se répète en légers échos dans différents endroits de la partition, se fait remarquer de plus par un certain vide dans l'harmonie, avec lequel le chant si animé, si entraînant d'Andréa : Eh quoi ! vouloir qu'ainsi je brise, forme un beau contraste, et complète le tableau caractéristique que présente cette scène.

Le finale du premier acte, où toutes les passions se déchaînent comme une tempête, est un de ces chefs-d'œuvre où le talent d'Halévy se déploie dans toute sa puissance. L'énergie grandiose avec laquelle le compositeur a coutume d'exprimer les violentes émotions de l'âme, se concentre ici dans un air magnifique pour voix de basse : dans les premières notes, la colère des partisans de Gérard se peint avec force et fierté; puis le mouvement rythmique s'accélère de plus en plus, et exprime admirablement l'exaltation successive de la passion. Sous le rapport purement musical, le finale offre d'ailleurs une foule de traits nouveaux.

Le commencement du second acte, qui nous montre le côté romantique de Venise, est une des conceptions les plus originales qui soient jamais sorties de la plume d'Halévy. L'introduction musicale avec le pizzicato incessant et monotone des violoncelles, et les accords pleins de rêverie des instruments à vent, forme, avec le chœur des gondoliers, un ensemble qui nous enivre d'un charme irrésistible. Le chœur des gondoliers est un morceau de chant où la nature est prise sur le fait : il y a là une simplicité grandiose et naïve d'un effet enchanteur. Toutes ces barcarolles rythmées à la moderne, d'une harmonie si piquante dont fourmillent nos opéras, du moment que la scène se passe en Italie, que sont-elles auprès de ce morceau si naturel, où pour la première fois se révèle dans toute sa vérité le caractère primitif des vigoureux enfants de la Chioggia, qui gagnent leur pain à ramer sur les canaux de Venise ?

La scène suivante a beaucoup d'animation dramatique. La mélancolie voluptueuse dans laquelle s'est affaissée la douleur de Catarina est rendue avec un charme touchant dans l'adagio; le chant respire une mollesse qui répand dans nos cœurs un calme bienfaisant. Puis sa douleur se réveille avec une force nouvelle : Catarina s'adresse au ciel pour lui demander des consolations. Puis quand elle trouve les lignes tracées par la main de son amant, son cœur renaît à l'espoir; sa joie, sa gratitude, l'anxiété avide avec laquelle Catarina attend son bien-aimé, tout cela ne pouvait être rendu avec plus de vérité et d'énergie. L'auteur nous semble avoir été surtout heureux dans le motif principal de l'allégro.

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