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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Halévy et la reine de Chypre (9/9) > Halévy et la reine de Chypre (9/9)

L'apparition de Mocénigo, du démon qui doit toujours et partout troubler le bonheur des deux amants, produit également ici le plus heureux effet. Les terribles paroles qu'il fait entendre sont parfaitement caractérisées par l'accompagnement de l'alto et du violoncelle. L'arrivée de Mocénigo prépare la scène suivante entre Gérard et Catarina, une des plus saillantes qui soient au théâtre. Je signalerai surtout la grâce ravissante de l'air de Gérard, à son entrée : Arbitre de ma vie, ainsi que le motif dans lequel Catarina, quand Gérard vient de lui déclarer qu'il ne l'aime plus, exhale sa douleur, douleur contenue, mais qui n'en est que plus intense ; le compositeur place dans la bouche de l'infortunée des accords si doux et si suavement touchants, qu'ils vous navrent le cœur, et font plus d'effet qu'on n'en obtiendrait avec les sons discordants et les cris. Quel merveilleux changement voyons-nous s'opérer au commencement du troisième acte ! C'est ici qu'a lieu la transposition du lieu de la scène, dont je parlais plus haut, et à laquelle j'assignais une si grande importance. Dès ce moment, le souffle d'une inspiration nouvelle anime la musique; ce qu'elle peint, c'est la beauté, le bonheur, la nature dans sa richesse luxuriante : le contraste avec le premier acte est complet. L'air joyeux du chœur des seigneurs cypriotes, Buvons à Chypre, nous place tout à coup dans une sphère nouvelle : ce chœur abonde en vibrations mélodiques , c'est, d'un bout à l'autre, une verve de gaieté et de jouissance insouciante. Le chant des Vénitiens ne manque pas non plus de charme, mais il respire en même temps la moquerie haineuse et l'orgueil. Les caractères si opposés des Vénitiens et des Cypriotes sont heureusement fondus dans ce qui suit, et la frivolité qui est commune aux uns et aux autres est parfaitement caractérisée dans le chœur du jeu. Les couplets de Mocénigo : Tout n'est dans ce bas monde, sont d'une beauté incomparable, et se rattachent à l'ensemble sans affectation et sans en interrompre le rythme; il n'y a rien de trivial, de commun : l'expression de légèreté gracieuse, que n'exclut point la noblesse, fait de ces couplets le modèle du genre. La sensualité, le désir effréné de jouir qui forment le caractère distinctif de tout ce tableau, atteignent leur point culminant dans le chœur dansé qui suit. On voit que le compositeur a voulu se surpasser ici lui-même, en prodiguant tout ce que son talent lui fournissait de richesses mélodiques : le délire de l'orgie ne saurait être rendu avec des couleurs plus enivrantes. Par une transition qui forme un contraste très marqué, nous arrivons au grand duo final entre Lusignan et Gérard. Combien ce morceau diffère sous tous les rapports de ce qui précède ! L'enthousiasme chevaleresque, une noblesse toute virile, se peignent dans ce passage, un des plus importants de la partition ; car c'est à partir de ce point que l'intérêt tragique se manifeste et prend une direction décisive. La romance pathétique : Triste, exilé sur la terre étrangère, qui est si bien en harmonie avec les moyens des deux chanteurs, est une perle précieuse dans la riche parure de cette partition. Tout ce que la sensibilité a de plus profond, tout ce que le courage chevaleresque a de plus mâle et de plus exalté sont fondus ici en une seule et même mélodie avec un art sans égal, dont la simplicité des moyens rehausse encore le mérite. En général on ne saurait trop louer Halévy de la fermeté avec laquelle il résiste à toutes les tentations d'escamoter des applaudissements faciles, en s'en remettant avec une confiance aveugle au talent des chanteurs, comme font tant de ses confrères. Au contraire, il tient à ce que les virtuoses, même le plus en renom, se soumettent aux hautes inspirations de sa muse ; c'est ce qu'il obtient par la simplicité et la vérité qu'il sait imprimer à la mélodie dramatique. Au quatrième acte, une magnificence, une splendeur extraordinaires se déploient à nos regards. Nous avons vu dans la Juive qu'Halévy s'entend fort bien à donner à la pompe théâtrale un sens noble et caractéristique ; toutefois, dans la Reine de Chypre il procède autrement. La pompe scénique, dans le premier de ces opéras, reçoit, par l'accompagnement musical, une teinte de fanatisme religieux propre au moyen-âge ; dans la Reine de Chypre, elle reflète au contraire les transports joyeux d'un peuple qui croit saluer dans la jeune reine le gage de la paix et du bonheur. L'aspect de la mer, la richesse méridionale du paysage, tout contribue à rehausser l'éclat de la fête. C'est dans ce sens, ce me semble, que l'on doit expliquer le chant des matelots quand le vaisseau aborde au rivage. Mais c'est surtout la prière : Divine Providence qui achève de donner au tableau un caractère individuel. Cette prière est un morceau d'un mérite inappréciable: dès les premières mesures chantées par le ténor, on se rappelle involontairement ces processions pieuses que l'on voit parfois s'avancer dans la campagne avec croix et bannière. La sérénité, qui s'allie dans ce morceau à la ferveur religieuse, forme un contraste frappant avec les sombres mélodies chantées par les moines et les prélats dans la procession du concile de Constance.

L'air de Gérard qui vient après les cérémonies est d'un puissant effet : chaque mesure est empreinte d'une expression dramatique et qui émeut profondément ; les divers sentiments qui viennent successivement agiter son cœur sont parfaitement rendus ; un souffle mélodique continu règne dans tout ce morceau. Un des motifs les plus heureux est celui du dernier allégro : Sur le bord de l'abîme ; il était facile de manquer la couleur mélodique de ce passage, à cause de l'émotion extrême qui s'y révèle. Le compositeur est d'autant plus digne d'admiration, pour avoir mis le chant en harmonie avec la vérité de la passion. L'allure rapide et énergique du finale, l'art avec lequel les sentiments les plus divers viennent se confondre dans le motif principal, constatent de nouveau la supériorité avec laquelle Halévy traite les morceaux d'ensemble.

Que dirai-je enfin du cinquième acte, dans lequel le poète ainsi que le musicien semblent s'être concertés pour atteindre aux effets les plus merveilleux de leur art? On ne saurait trouver un tableau plus touchant, plus noblement pathétique. L'air chanté par Catarina près du lit de mort du roi, les accents qu'il adresse à son épouse découlent des sources les plus intimes du cœur humain ; nulle parole ne saurait peindre ce qu'il y a là de douleur vraie et déchirante. Le duo entre Gérard et Catarina commence par une excellente introduction, et se soutient à la même hauteur jusqu'à la fin. Le motif principal : Malgré la foi suprême, a beaucoup de vérité et d'expression ; la gradation de ce motif est fortement accentuée, et produira toujours le plus grand effet.

Toutefois, le morceau le plus sublime de la partition c'est le quatuor : En cet instant suprême. Ici, plus que partout ailleurs, le talent d'Halévy se montre dans toute son individualité ; le grandiose s'allie au terrible, et une mélancolie tout élégiaque répand comme un crêpe funèbre sur cette scène solennelle, disposée d'ailleurs avec cette clarté, cette simplicité, qui sont propres aux grands maîtres.

Que si nous jetons un dernier regard sur l'ensemble de la Reine de Chypre si nous en examinons avec soin les qualités les plus saillantes et les plus caractéristiques, nous trouverons d'abord que l'auteur continue à s'avancer dans la route qu'il a frayée dans la Juive, puisqu'il s'attache de plus en plus à simplifier ses moyens. Cette tendance qui se révèle chez un compositeur doué de forces exubérantes qui auraient pu l'amener plutôt à douter de l'efficacité des moyens déjà en usage, est d'une grande importance ; elle prouve de nouveau qu'il n'y a que ceux qui font abus de ces moyens qui les trouvent insuffisants ; que l'artiste doit chercher ses richesses dans la puissance créatrice de son âme. C'est vraiment un beau spectacle que de voir comment Halévy, tout en restreignant ses moyens à dessein, comme il est facile de le remarquer, a réussi à obtenir une si grande variété d'effets, sans compter que par là il rendait ses intentions d'autant plus claires et plus intelligibles. Au reste, les procédés qu'Halévy a employés et l'influence qu'ils exercent sans doute sur l'art contemporain, ont trop d'importance pour ne nous en occuper qu'ainsi en passant. Nous nous réservons de revenir une autre fois sur ce sujet, et de le traiter avec toute l'attention qu'il mérite.

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