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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Halévy et la reine de Chypre (6/9) > Halévy et la reine de Chypre (6/9)

Tout au contraire, la Juive d'Halévy fit une forte et double impression en Allemagne : non seulement la représentation de cette œuvre constata la puissance qui ravit et qui secoue l'âme profondément, mais elle sut éveiller ces sympathies internes et externes qui dénotent la parenté. Ce fut avec un étonnement plein de bonheur et à sa grande édification, que l'Allemand reconnut dans cette création, qui renferme d'ailleurs toutes les qualités qui distinguent l'école française, les -traces les plus frappantes et les plus glorieuses du génie de Beethoven, et en quelque sorte la quintessence de l'école allemande. Mais quand même cette parenté ne se fût pas manifestée tout d'abord d'une manière si évidente, le style d'Halévy, dans sa diversité, dans son universalité, tel enfin que nous avons essayé de le caractériser plus haut, eût suffi pour donner à la Juive une haute importance aux yeux du musicien allemand. Car ce furent précisément les qualités inhérentes à la manière d'Auber, qualités souvent brillantes y mais qui, dans tous les cas, sont restreintes à une sphère très étroite, qui détournèrent les Allemands de l'imitation de ce compositeur. Le style d'Halévy qui se meut avec plus de liberté, l'énergie passionnée qui se révèle dans sa musique, lui donnent une puissante influence sur les facultés musicales des Allemands. Par cette action sympathique, elle leur a montré comment ils pourront paraître de nouveau dans le domaine du drame musical, — qu'ils semblaient, avoir abandonné complètement, — sans renoncer à leur individualité, sans choquer le génie national, et en effacer le caractère par l'imitation d'un faire étranger. Les choses mûrissent lentement en. Allemagne, et la mode y exerce peu d'influence sur les productions de l'art. Toutefois, dans plus d'un ouvrage publié récemment, on reconnaît déjà clairement qu'une époque nouvelle s'annonce pour la musique dramatique de nos voisins. Quand le temps sera venu, nous montrerons jusqu'à quel point l'influence exercée par Halévy y aura contribué. Nous nous bornerons à faire observer pour le moment que cette influence sera plus sensible que celle-là même qui part des coryphées modernes de l'école allemande actuelle, parmi lesquels Mendelssohn-Bartholdy est sans contredit le plus remarquable ; c'est en lui que la véritable nature allemande se révèle de la manière la plus caractéristique. Le genre d'esprit, d'imagination, toute la vie intérieure enfin, qui se révèlent dans ses compositions instrumentales si finies dans les plus petits détails, la quiétude pieuse que respirent ses compositions religieuses, tout cela est profondément allemand, mais cela ne suffit pas pour écrire de la musique dramatique ; cette piété paisible et résignée est même en opposition directe avec l'inspiration qu'exige le drame. Pour écrire un opéra, il faut au compositeur des passions fortes et profondes, et de plus il doit posséder la faculté de les peindre vigoureusement et à grands traits. Et voilà précisément ce qui manque à Mendelssohn-Bartholdy : aussi, quand ce compositeur distingué a voulu s'essayer dans le drame, est-il resté au-dessous de lui-même.

Ce n'est donc pas de ce côté qu'on peut espérer voir partir une action énergique et féconde qui puisse vivifier de nouveau la musique dramatique en Allemagne. L'impulsion donnée par Halévy, provenant d'un talent étranger à la vérité, mais qui a une affinité intime avec l'esprit allemand, aura des résultats bien autrement décisifs. Et pour qui sait apprécier la solidité, la dignité de la musique allemande, l'influence exercée sur une de ses branches les plus importantes par l'auteur de la Juive ne sera pas un de ses moindres titres à sa gloire.

C'est un motif de plus pour regretter que nos jeunes compositeurs français n'aient pu trouver la force de suivre les traces de l'auteur de la Juive. Et ce qu'il y a de plus déplorable, c'est qu'ils ont eu la lâcheté de subir l'influence des compositeurs italiens à la mode. Je dis lâcheté, parce qu'en effet ce me semble une faiblesse coupable et honteuse de renoncer à ce que l'on trouve de bien dans son propre pays, pour singer les médiocrités étrangères, et cela sans autre motif que de profiter d'un moyen facile et commode de surprendre la faveur passagère de la masse inintelligente.

Tandis que les maestri italiens, avant de paraître devant le public parisien, se livrent à de sérieux travaux, afin de s'approprier les grandes qualités qui distinguent l'école française ; tandis qu'ils s'appliquent sérieusement (ainsi que Donizetti l'a prouvé récemment et à son grand honneur dans la Favorite) à se conformer aux exigences de cette école, à donner plus de fini et plus de noblesse aux formes, à dessiner les caractères avec plus de précision et d'exactitude, et surtout à se débarrasser de ces accessoires monotones et mille fois usés, de ces ressources triviales et stéréotypées dont l'abondance stérile caractérise la manière des compositeurs italiens de notre époque; tandis que ces maestri, dis-je, par respect pour la scène où ils veulent se produire, font tous leurs efforts pour retremper et ennoblir leur talent, les adeptes de cette école si respectée préfèrent ramasser ce que ceux-là jettent loin d'eux avec un sentiment de pudeur et de mépris. S'il ne s'agissait que d'amuser les oreilles du public par la voix de tel virtuose ou de telle cantatrice en faveur,— n'importe ce qu'ils chantent, et en ne tenant compte que de l'exécution, — ce serait un assez bon calcul de la part de ces messieurs de chercher à satisfaire de la manière la plus commode du monde (c'est-à-dire à la manière italienne) aux exigences d'un public assez peu difficile pour n'en point demander davantage. Il est vrai que, dans ce calcul, le but auquel doit s'attacher tout véritable artiste, celui d'ennoblir et d'élever l'âme par la jouissance, n'entrerait pour rien. Mais l'expérience nous prouve que ce serait commettre une criante injustice envers le public des deux Opéras de Paris, que de lui attribuer un goût si peu éclairé et si facile à contenter. Les jugements du parterre du Grand-Opéra font loi dans le monde musical, et la foule qui se presse aux représentations de Richard-Cœur-de-Lion donnerait un démenti accablant à une pareille assertion.

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