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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Un musicien étranger à Paris (3/10) > Un musicien étranger à Paris (3/10)

— Écoute donc bien, me répondit-il : tu sais que depuis longtemps je me suis adonné avec amour à la musique instrumentale. Ici, à Paris, où l'on semble avoir voué un véritable culte à notre Beethoven, j'ai quelque lieu d'espérer que le compatriote et le plus fervent admirateur de ce grand homme pourra être accueilli sans trop de défaveur, s'il tâche de faire entendre au public les faibles essais qui lui ont été inspirés par l'étude de son inimitable modèle.
— Permets que je t'arrête ici, m'écriai-je ; Beethoven est déifié, tu as parfaitement raison ; mais fais bien attention que sa réputation et son nom sont maintenant choses reçues et consacrées. Mis en tète d'un morceau digne de ce grand maître, ce nom sera bien un talisman assez puissant pour en révéler les beautés à l'instant et comme par magie, mais à ce nom substitues-en tout autre, et tu ne parviendras jamais à rendre les directeurs de concerts attentifs aux passages les plus brillants de ce même morceau. (Le lecteur voudra bien ne pas oublier de faire ici une nouvelle application de la remarque que je lui ai recommandée ci-dessus.)
— Tu mens, s'écria mon ami avec quelque violence ; maintenant je te devine ; ton plan bien arrêté est de me décourager et de me détourner du chemin de la gloire! mais tu n'y parviendras pas!
— Je te connais, lui dis-je, et je sais que ce que tu viens de dire, tu ne le penses pas sérieusement; ainsi je te le pardonne. Dans tous les cas, je dois te dire qu'ici encore tu auras à renverser les obstacles qui se dressent indubitablement devant tout artiste sans réputation, quel que puisse être d'ailleurs son talent. Tes deux projets sont bons comme moyens de soutenir et d'augmenter une gloire déjà acquise, mais nullement de commencer une réputation. Ou l'on te laissera te morfondre à attendre en vain l'exécution de ta musique instrumentale, ou bien, si tes compositions sont conçues dans cet esprit audacieux et original que tu admires dans Beethoven, on ne manquera pas de les trouver boursouflées et incompréhensibles, et l'on se débarrassera ainsi de toi avec ce beau jugement. (Le lecteur voudra bien ne pas oublier, etc.)
— Mais ce reproche, me dit-il, si j'avais eu soin de m'y soustraire d'avance? Si, dans cette prévision, pour prendre mes précautions contre un public superficiel, j'avais eu soin de broder plusieurs morceaux de ces enjolivements légers et modernes que j'abhorre, il est bien vrai, du fond du cœur, mais auxquels les meilleurs artistes ne dédaignent pas d'avoir recours pour assurer leurs succès?
— Alors on te donnera à entendre que tes œuvres sont trop légères ou trop insignifiantes pour être offertes au public à côté de celles d'un Beethoven ou d'un Musard. (Le lecteur voudra bien ne pas oublier, etc.)
— Ah! monsieur le mauvais plaisant, s'écria mon ami ; c'est bien, c'est bien ; je vois enfin que maintenant ton seul but était de te moquer de moi ! Tu es et tu seras toujours un drôle de corps.

A ce moment, il frappa en riant du pied contre terre, et il atteignit si lourdement les pattes de son beau chien que celui-ci poussa un cri perçant ; mais aussitôt, léchant les mains de son maître, il jeta sur lui un triste regard comme pour le supplier de ne plus traiter mes objections comme des plaisanteries.
— Tu vois, dis-je, qu'il n'est pas toujours bon de confondre le sérieux et le comique. Mais laissons cela. Fais-moi part, je t'en prie, des autres projets qui peuvent t'avoir encore engagé à échanger ta modeste patrie contre l'abîme de Paris. Dis-moi ; dans le cas où, pour l'amour de moi, tu consentirais à abandonner les deux plans dont tu viens de m'entretenir, par quels autres moyens te proposes-tu de chercher à te faire une réputation ?
— Soit, me répondit-il, malgré ton inconcevable disposition à me contredire, je veux te faire ma confidence tout entière. Rien, que je sache, n'est plus recherché dans les salons parisiens que ces romances pleines de grâce et de sentiment telles que les a produites le goût particulier du peuple français, ou que ces Lieder venus de notre Allemagne, et qui ont acquis ici droit de bourgeoisie. Pense aux lieder de Schubert et à la vogue dont ils jouissent en France. Ce genre est précisément un de ceux qui me conviennent particulièrement. Je sens en moi la faculté de créer dans cette branche de l'art quelque chose de remarquable. Je ferai entendre mes lieder, et je serai peut-être aussi chanceux que maint et maint compositeur. Comme tant d'autres, ce serai peut-être assez heureux, sans autre secours que ces productions si simples, pour captiver l'attention d'un directeur de théâtre à ce point qu'il n'hésitera pas à me confier la composition d'un opéra.

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