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LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS - CHAPITRE II — Le matériel sonore - De l'instrumentation - Grand orgue - Jeux de combinaison > CHAPITRE II — Le matériel sonore > De l'instrumentation - Grand orgue - Jeux de combinaison Il ne me paraît pas nécessaire d'appeler davantage l'attention du lecteur sur
l'effroyable complication de mécanismes divers que comporte un grand orgue, dans
lequel tous les jeux, à quelque clavier qu'ils appartiennent, doivent pouvoir se
grouper deux par deux, trois par trois, sans autre limite que celle de la
composition de l'instrument. Cela tient à la fois de l'horlogerie et de la
serrurerie, et, par la multiplicité des mouvements divers, des transmissions,
des réglettes, des leviers, des soupapes, qu'il a à mettre en oeuvre, l'art du
facteur d'orgues ou organier exige autant de connaissances en mécanique que de
science acoustique. Aussi, jusqu'en ces derniers temps, ainsi qu'on peut le
constater sur les instruments de date ancienne, le maniement des claviers
était d'autant plus lourd et pénible que l'organiste désirait accumuler et faire
mouvoir plus de jeux simultanément. Aujourd'hui, grâce à l'emploi des leviers
pneumatiques, grâce aussi aux transmissions électriques qui suppriment ou
simplifient extraordinairement tout mécanisme, le toucher de l'orgue est devenu
aussi doux que celui du piano le plus docile.
Mais un emploi inconsidéré de l'électricité a été tenté, qui consistait à placer
les claviers à une grande distance des sommiers et des tuyaux, par exemple les
claviers dans le chœur d'une église, et les tuyaux au-dessus du portait, leur
place ordinaire.
Cela était assurément très séduisant, l'artiste se trouvant ainsi en communion plus directe
avec l'officiant; de plus, le même
organiste pouvait ainsi commander alternativement à l'orgue d'accompagnement du
chœur et au grand orgue, qui n'ont jamais à se faire entendre ensemble; il en
résultait donc une économie réelle pour les fabriques. Malheureusement, on avait
négligé de prévoir que si la transmission par l'électricité est instantanée, il
n'en reste pas moins vrai que les ondes sonores ne se propagent qu'à la vitesse
moyenne de 340 mètres par seconde, ce d'où il résulte que l'infortuné organiste,
titulaire d'un de ces instruments à longue portée, n'entend jamais l'accord ou
la note qu'il joue, mais l'accord qu'il vient de jouer ou quelque note émise
précédemment, ce qui constitue une véritable torture de l'oreille, dont seul un
sourd pourrait s'accommoder.
Et les organistes ne sont pas des sourds, tant s'en faut; ils sont, de tous les
virtuoses, ceux dont la pratique exige le plus de sagacité et d'à-propos, comme
aussi la plus grande somme d'érudition. La connaissance approfondie de leur
instrument complexe; son maniement, qui exige une propreté d'exécution dont les
pianistes n'ont pas l'idée; le groupement des jeux, qui est une véritable
orchestration; l'étude spéciale du clavier de pédales et de la riche littérature
musicale de l'instrument, ne constituent qu'une faible partie de leur savoir, si
l'on songe qu'ils sont tenus, de par les exigences de la liturgie, à improviser
presque constamment; ce n'est que par exception, à l'église, qu'ils jouent un
morceau écrit; tout doit sortir instantanément de leur cervelle et de leurs
doigts et se régler sur l'action du prêtre. Si donc l'orgue est réellement
l'instrument des instruments, comme le dit son nom latin (organa), l'organiste
est aussi le musicien des musiciens; il doit posséder, outre les sciences
techniques, harmonie, contrepoint, fugue,... l'inspiration, le génie créateur
des formes musicales, et une présence d'esprit spéciale, sans laquelle tout son savoir serait frappé de stérilité1.
L'orgue s'écrit sur trois portées, les deux d'en haut pour les mains, la
troisième pour les pieds. En ce qui concerne le choix des jeux, le compositeur,
s'il n'est pas organiste lui-même, fera bien de s'en tenir à des indications
générales, telles que : 8 pieds, 16 pieds, jeux de fond, jeux d'anches,... qui,
jointes à des signes de nuances, seront interprétées par l'exécutant selon
l'effet à produire et les ressources de l'instrument dont il dispose.
1. Voir au chapitre Improvisation.
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