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LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS - CHAPITRE II — Le matériel sonore - De l'orchestration. Coloris orchestral. > CHAPITRE II — Le matériel sonore > De l'orchestration. Coloris orchestral.
Les peintres emploient couramment cette métaphore : la gamme des couleurs, à
laquelle les musiciens peuvent opposer celle-ci, non moins juste : le coloris de
l'orchestre. C'est de ce coloris que je veux parler.
On ne voit trop souvent que le côté plaisant de l'histoire, plutôt triste, de ce
malheureux aveugle de naissance auquel un ami avait entrepris de faire
comprendre... la couleur rouge. « Elle est, lui expliquait-il, violente,
éclatante, fatigante, superbe quoique brutale; elle tue les couleurs voisines. —
Ah! dit l'aveugle, je comprends enfin : la couleur rouge doit ressembler au son
de la trompette ! »
Or, il n'est pas déraisonnable d'avancer qu'il était absolument dans le vrai, et
que chaque instrument a réellement sa couleur propre, qu'on peut définir comme
son caractère, en admettant toutefois que cette assimilation peut varier d'un
observateur à l'autre, peut-être en raison
de la conformation de l'oreille ou de l'œil de chacun. De cette divergence
d'appréciation naît la seule difficulté réelle de la démonstration que
j'entreprends ici.
Pour beaucoup, comme pour moi, le timbre éthéré, transparent, suave de la flûte,
avec son charme poétique et sa placidité, produit une sensation auditive
analogue à l'impression visuelle de la couleur bleue, d'un beau bleu pur et
lumineux comme l'azur du ciel.
Le hautbois, si propre à l'expression des sentiments rustiques et agrestes,
m'apparaît absolument vert1, d'un vert un peu cru.
Le son chaud de la clarinette, à la fois rude et velouté, éclatant dans l'aigu,
sombre, mais riche, dans les notes graves du chalumeau, appelle l'idée du brun
rouge, du rouge van Dyck, du grenat.
Le cor est jaune, d'un beau jaune cuivré, et le pauvre cor anglais, si
mélancolique, correspond au violet; il ne saurait exprimer que le deuil, la
tristesse et la résignation.
La famille des trompettes, des clairons et des trombones présente toutes les
gradations du rouge pourpre; mélangée avec les cors, elle donne l'orangé, tandis
que le cornet, trivial et vantard, apporte une note d'un rouge commun, sang de
bœuf ou lie de vin.
Le basson, sombre, triste, pénible, au timbre souffreteux, timide et sans éclat,
est certainement d'un brun foncé un peu sale, mélangé de gris.
Les instruments à percussion, timbales, grosse-caisse, font
de grands trous noirs dans la masse ; le roulement de tambour est grisâtre; le
triangle ne peut être, au contraire, qualifié autrement qu'argentin.
C'est du moins ainsi que je les entends, ce qui n'empêche que d'autres
peuvent les voir autrement; mais chez presque tous la perception du
timbre musical est liée, fût-ce inconsciemment, à une idée de coloris sur
laquelle il me suffira certainement d'avoir appelé l'attention pour que chacun
en reconnaisse l'existence.
Je n'oserais pas être aussi catégorique en ce qui concerne la grande famille des
instrumenta à archet, parce que chacun d'eux possède à lui seul une infinie
variété de timbrer; le violon, par exemple, dans ses sons harmoniques, est aussi
aérien, aussi bleu que la flûte; sa quatrième corde donne l'illusion du brun
rouge grave de la clarinette; et avec sa sourdine, il rappelle s'il le veut, le
caractère champêtre ou profondément triste du hautbois ou du cor anglais, tandis
que ses pizzicati sont des pointillés noirs. Disons que le violon, roi de
l'orchestra, instrument d'une richesse de timbre à nulle autre pareille,
possède presque toute la gamme des couleurs musicales.
Il serait tout aussi illusoire de chercher à assigner une couleur unique au
violoncelle; comme le violon, il les possède à peu près toutes, mais plus graves,
plus foncées.
On les retrouve aussi dans l'alto, mais comme atténuées et voilées par une
teinte générale neutre, à travers laquelle les diverses nuances semblent vues
comme dans un brouillard. Il est bien utile dans l'ensemble, mais il n'a pas de
personnalité propre tranchante; c'est un philosophe mélancolique, serviable,
toujours prêt à se mettre en quatre2 pour venir en aide, mais qui n'aime pas
à
appeler l'attention.
1. Je vois dans le Cours d'orchestration de Gevaert (p. 107) qu'il considère à
l'occasion le hautbois comme une ligne rouge.
(A noter que le vert et le rouge sont des couleurs complémentaires, qui se
confondent chez les sujets atteints de daltonisme.)
D'ailleurs, plus loin, dans le même ouvrage (p. 150), Gevaert parle de la verdeur
du hautbois; c'est donc bien le même sentiment, autrement exprimé.
2. On divise très souvent les altos.
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