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LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS - CHAPITRE II — Le matériel sonore - De l'orchestration. Orchestre d'accompagnement. > CHAPITRE II — Le matériel sonore > De l'orchestration. Orchestre d'accompagnement.
Quand il s'agit d'accompagner un soliste, chanteur ou instrumentiste auquel on
désire laisser la prédominance, la principale chose pour le ménager n'est pas
d'employer peu d'instruments, mais de les faire mouvoir dans une région de leur
échelle plus terne que celle occupée par le soliste, et surtout de choisir pour
cet accompagnement des instruments dont le timbre ne puisse se confondre avec le
sien propre et lui porter ombrage.
C'est ainsi qu'un solo de flûte ou de clarinette trouvera
les meilleurs éléments d'accompagnement dans la région moyenne ou grave du
quatuor ; qu'une phrase de violoncelle se détachera mieux sur un fond
d'instruments à vent que si on l'entoure de sonorités appartenant au groupe des
cordes ; que la voix humaine, qui est un instrument à vent, tranche bien plus
sur les violons, altos et violoncelles que sur des cors, des bassons ou des
clarinettes. Mais il faudrait bien se garder de considérer ce procédé comme
absolu ; il n'y a d'ailleurs rien d'absolu en orchestration. Dans certains cas,
tout au contraire, on pourra désirer établir une sorte de cohésion intime entre
le soliste et les parties d'accompagnement, qu'il sera tout indiqué alors de
choisir dans sa famille, mais en les maintenant dans une région peu éclatante de
leur étendue. On peut dire aussi, d'une façon générale, que lorsqu'il s'agit
d'orchestrer un solo instrumental, il sera mieux de ne pas employer, dans
l'accompagnement, un timbre absolument identique à celui qu'on veut mettre en
relief; dans cet ordre d'idées, l'orchestre d'un Concerto de clarinette ne
devrait pas contenir de clarinettes, à moins d'un effet particulier cherché. Il
n'en peut être de même d'un Concerto de violon ; car on ne voit guère
l'orchestre privé de premiers et seconds violons ; mais on leur donne en ce cas
un rôle effacé, secondaire, afin de laisser le soliste sur son piédestal. Le
Concerto de piano, lui, s'accommode de tous les timbres, puisqu'il ne peut se
confondre avec aucun d'eux.
Ce que je dis ici au sujet d'un solo étendu, d'un Concerto, s'applique
nécessairement à tous les fragments d'une composition orchestrale quelconque où
l'on a en vue d'attirer l'attention, ne fût-ce que pendant quelques mesures ou
même quelques notes, sur un instrument déterminé, qui devient momentanément un
soliste; il faut éviter de le noyer dans des ondulations sonores semblables aux
siennes, et chercher, soit dans d'autres groupes,
soit à un autre niveau, le fond sur lequel pourra le mieux se détacher son
contour mélodique.
L'art de l'orchestration ne vit que par les contrastes, soit entre les timbres
divers employés simultanément, en vue de faire prédominer un ou plusieurs
d'entre eux, soit entre les combinaisons successives, afin d'accaparer et fixer
l'attention de l'auditeur, de toujours l'intéresser et l'amuser, en lui
présentant sans cesse des sonorités nouvelles, captivantes, et appropriées aux
circonstances ou aux sentiments qu'on a pour but de dépeindre. C'est en cela que
consiste le côté pittoresque si puissant de l'orchestration, comme sa
participation efficace à la couleur locale. Je ne parle pas ici de l'emploi de
l'orgue dans les scènes d'église, du cor dans les chasses, ou de la harpe,
instrument favori des séraphins, dans les apothéoses, mais de quelque chose de
bien plus subtil et qui ne peut être saisi que par ceux-là seuls qui sont doués
d'un sens artistique fin et délicat.
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