Accueil Nous sommes le vendredi 29 mars 2024 
Rechercher sur metronimo.com avec
Google
Logiciels de Métronimo

Logiciels ludiques pour apprendre la musique. Cliquez ici pour jouer.

English Français Español

Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Le Freischütz (2/5) > Le Freischütz (2/5)

Or, à mesure que l'époque approchait où sa destinée devait se décider pour toujours, le sort paraissait devenir de jour en jour plus hostile à notre jeune homme. Jusque-là il avait été le plus heureux et le plus adroit chasseur ; maintenant il lui arrivait souvent de courir les bois des jours entiers, sans pouvoir rapporter à la maison le moindre trophée en témoignage de ses exploits. La pitié qu'il éprouvait pour les hôtes innocents des forêts lui avait-elle gâté l'œil ou la main? Mais alors pourquoi le coup portait-il à faux, quand il visait un de ces brigands des airs pour lesquels, certes, il était bien éloigné d'éprouver la moindre sympathie? Pourquoi ne logeait-il plus la balle dans le noir, quand on tirait à la cible? Pourquoi manquait-il le but, quand il cherchait à calmer les inquiétudes de sa prétendue par un coup heureux? Le vieux forestier secouait la tète; les anxiétés de la jeune fille croissaient de jour en jour ; notre chasseur errait dans les profondeurs des bois, se livrant à de sombres pensées. Il méditait à part lui sur ses malheurs, il cherchait à en approfondir les causes. Souvent, dans le fond de son âme. il entendait de nouveau le bruit des sapins, les affreux croassements, comme au jour où un hasard funeste l'avait conduit à la Vallée aux Loups. Il se croyait sous l'obsession de quelque puissance démoniaque jalouse de son bonheur et acharnée à sa perte. En même temps lui revenait à la mémoire tout ce qu'on lui avait raconté au sujet de cette apparition nocturne qu'on appelait la Chasse sauvage. C'était une troupe infernale de chasseurs, une cohue de chevaux, de chiens, de cerfs et de sangliers qui, à minuit, roulait pêle-mêle au-dessus des bois. Malheur à celui qui se trouvait sur son passage ! C'était un tintamarre, un cliquetis d'armes, des rugissements si effroyables mêlés aux sons du cor, aux aboiements des chiens, aux hennissements des chevaux, que le cœur d'un mortel était trop faible pour y résister : ceux qui avaient vu la Chasse sauvage en mouraient presque toujours peu de temps après. Le jeune chasseur se rappelait aussi avoir entendu parler de celui qui conduisait les meutes aériennes, espèce de génie malfaisant connu sous le nom de Samiel, qui cherchait à enrôler des jeunes gens pour ses courses nocturnes. Dans ce but, Samiel détachait un de ses suppôts vers l'infortuné, dont il voulait faire sa victime. Celui qui lui servait d'instrument pour exécuter ses projets était un garçon adroit, rusé, déjà initié à ces mystères de i'enfer; il circonvenait le jeune homme, s'insinuait dans son amitié, lui parlait souvent de certaines forces occultes, de certaines influences magiques, grâce auxquelles on était sûr de son coup, et qui mettaient le chasseur à même de l'emporter sur tous ses rivaux. Il lui disait que si on se rendait à certaine heure dans telle ou telle localité, on pouvait, à l'aide d'évocations très faciles à accomplir, conjurer des esprits, se les rendre tributaires, et les forcer à vous rendre des services inappréciables. Ainsi, par exemple, il lui proposait de l'accompagner à minuit en certain lieu ; et s'il voulait faire part à demi, il promettait de lui procurer des balles qui, imprégnées d'une puissance démoniaque, avaient la propriété d'atteindre le but le plus éloigné. Ces balles on les appelait balles-franches, et celui qui les possédait était franc-tireur (Freischûtz).

Le jeune homme restait tout ébahi, tout stupéfait devant ces merveilleux récits qui s'accordaient du reste parfaitement avec tout ce qui se passait autour de lui depuis quelque temps. Ne devait-il pas être porté à croire à l'influence d'esprits invisibles, quand il songeait que lui, le meilleur tireur de la contrée, ne pouvait plus compter sur sa carabine, qui jusque-là n'avait jamais trompé son coup d'œil ? Déjà la paix de son âme était troublée : le jour était proche où, grâce à sa mauvaise étoile, il allait perdre pour toujours, peut-être, le bonheur auquel il aspirait. Sa destinée semblait le pousser irrévocablement à se servir d'une de ces balles démoniaques dont son camarade lui avait vanté l'infaillible puissance. Mais ces balles, où les trouver ? — A minuit, dans la Gorge-aux-Loups ! — Les cheveux se dressaient sur la tête du vertueux jeune homme. Dans la Gorge-aux-Loups ! A minuit ! Alors il comprenait tout. D'un coup d'œil, il sondait le sacrifice énorme qu'on exigeait de lui ; il s'agissait positivement du salut de son âme ! Et pourtant il n'avait pas d'autre ressource ; c'était le seul moyen de se soustraire à l'influence de l'astre malfaisant qui pesait sur lui. Pâle, une flamme sinistre dans les yeux, il retourne auprès de sa bien-aimée. L'aspect de la pieuse et candide jeune fille ne saurait le calmer ; il sait qu'il n'a que deux partis à prendre : renoncer à elle et à son bonheur ici - bas, ou tenter une chance terrible et recourir à l'enfer. Le feuillage des arbres frémit doucement autour de la maison solitaire du forestier ; la joyeuse compagne de celle qu'il aime cherche vainement à l'égayer ; vainement la jeune fiancée enlace ses bras autour de la taille de son prétendu. Il reste immobile, les yeux fixes, concevant dans sa pensée les terribles mystères vers lesquels il se sent entraîné ; il croit entendre de loin les accents formidables qui l'appellent à la Gorge-aux-Loups où son camarade l'attend pour l'initier aux pratiques de l'enfer ! Il s'arrache des bras de sa fiancée qu'agitent de cruelles appréhensions : pour la posséder il est prêt à sacrifier le salut de son âme.

Guidé par les puissances ténébreuses auxquelles il s'abandonne, il arrive au séjour redouté où son camarade a tout disposé pour l'œuvre des ténèbres. En vain l'ombre de sa mère lui apparaît pour le mettre en garde contre les sortilèges du démon ; poussé par le désespoir, il descend dans la gorge. La fonte des balles commence. Les puissances des ténèbres éternelles sont évoquées ; bientôt s'accomplit ce que le jeune homme avait pressenti lors de sa première visite à la Vallée aux Loups. Tout ce qui l'entoure s'anime par degrés ; des milliers de corps se dressent, étendant leurs bras vers lui ; l'ouragan mugit ; les hurlements des airs forment un concert infernal ; des visions, comme jamais il ne s'en est montré aux regards d'un mortel, surgissent de la gorge ; enfin la chasse sauvage passe au-dessus de leur tête : éperdu, le chasseur tombe sans connaissance, la face contre terre.

<< Précédent

Suite >>

***

Accueil - Avant-propos - De la musique allemande - « Stabat Mater », de Pergolèse - Du métier de virtuose - Une visite à Beethoven - De l'ouverture - Un musicien étranger à Paris - Le musicien et la publicité - Le « Freischütz » - Une soirée heureuse - Halévy et « la Reine de Chypre »

Rechercher dans cet ouvrage :

Imprimer cette page

Clés USB pour musiciens

Clé USB en forme de violon Cle USB en forme de clé de sol
Cle USB en forme de saxophone Cle USB en forme de guitare

Imprimez vos photos différemment
Puzzles en bois

Copyright © metronimo.com - 1999-2024 - Tous droits réservés - Déclaration CNIL 1025871