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Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner Dix écrits de Richard Wagner - Du métier de virtuose (2/4) > Du métier de virtuose (2/4)

Je ne saurais dire avec quelque certitude si cette légende est de pure invention ou basée sur quelque fait réel ; mais elle mérite en tout cas d'être mentionnée par les applications dont cette allégorie est susceptible, car le talisman mystérieux peut être regardé comme l'emblème du secret magique, idéal, de l'art musical. Sur cette seule donnée, il serait facile de découvrir une assimilation à la mine et aux décombres. En effet, celui qu'inspire le génie de la musique et qui éprouve le besoin de traduire en notes ses pensées intimes, rencontrera d'abord l'amoncellement des ruines, et parviendra peut-être ensuite dans la mine, régulièrement creusée par l'art; mais combien peu pénétreront jusqu'à la crypte profonde où repose la divine essence ? Le nouvel adepte se heurtera d'abord contre l'épaisse muraille élevée par la vanité, l'ignorance et la routine, comme un rempart défendant l'approche du tabernacle sacré. Cette masse lourde et compacte effraie le regard le moins timide, et souvent on a peine à se persuader que ce n'est qu'une enveloppe trompeuse qui dérobe à l'œil le secret du beau et du vrai. Examinons de plus près les causes de cette étrange méprise.

Toute composition musicale a besoin, pour être jugée, d'être exécutée; l'exécution est donc une partie importante de l'art musical, et pour ainsi dire sa condition de vitalité la plus essentielle. Sa première règle doit être, en conséquence, de traduire avec une fidélité scrupuleuse les intentions du compositeur, afin de transmettre aux sens l'inspiration de la pensée sans altération ni déchet. Le plus grand mérite du virtuose consiste donc à se pénétrer parfaitement de l'idée musicale du morceau qu'il exécute, et à n'y introduire aucune modification de son cru. C'est-à-dire qu'il n'y a vraiment d'exécution parfaite que celle dont se charge le compositeur lui-même, et nul n'en approchera davantage que l'individu doué tout à la fois de la faculté créatrice et d'une organisation assez souple pour s'assimiler en quelque façon la pensée d'autrui. Restent après cela les artistes qui, sans prétendre au talent de l'invention, n'ont rien à sacrifier pour saisir et pour rendre telle qu'elle se comporte une inspiration étrangère ; car, en fait d'exécution musicale, il faudrait à la rigueur que ni les défauts ni les qualités de l'exécutant ne pussent influencer l'auditeur, et que le mérite seul de la composition maîtrisât toute son attention ; d'où cette conséquence rigoureuse qu'il faut ou bien dénier toute importance à l'exécution musicale, ou bien lui en attribuer une tellement exagérée, qu'on la mettrait au niveau de la conception, à la manifestation de laquelle son concours est indispensable.

Or, il est difficile de décider s'il faut s'en prendre au goût superficiel du public, ou bien à la vanité des virtuoses, de cette habitude contractée avec le temps de traiter l'exécution musicale comme une chose absolument indépendante du fond auquel elle s'appliquait. Mais il est certain, qu'en général le public n'a pas témoigné d'un sens critique assez profond pour apprécier à leur juste valeur les œuvres musicales à la portée de leur idée fondamentale. Il arriva ainsi que maintes fois le rôle secondaire de l'exécution fut confondu avec la fonction créatrice de la pensée, qu'on alla jusqu'à méconnaître tout à fait. De leur côté, les artistes exécutants méritent le grave reproche d'avoir abusé de cette propension vicieuse, et d'avoir trop souvent mis tout en oeuvre pour substituer à la pensée dont ils se faisaient les interprètes, leur propre individualité. Cette injuste prédominance accordée au virtuose sur l'auteur de la composition, eut pour conséquence directe de faire admettre qu'en général celui-là devait largement user du droit de modifier à son gré le texte auquel il voulait bien prêter l'éclat de la publicité. L'exemple fut donné par le premier virtuose qui eut la fantaisie de surexciter l'attention et la sympathie de ses auditeurs, en mettant exclusivement en relief ses qualités personnelles. L'effet inévitable d'une semblable méthode fut donc que les ouvrages des maîtres furent tous plus ou moins défigurés, suivant que les exécutants étaient doués d'un talent réel, ou simplement d'une certaine habileté machinale.

Telle fut l'origine d'une tradition si fatale à l'art musical. C'est de cette époque que datent les virtuoses à réputation. Ceux-ci, moins pour obvier à cette altération déplorable des ouvrages, produit d'une libre inspiration, que pour avoir encore plus d'occasions de faire briller leurs avantages, imposent aux musiciens un nouveau genre de compositions, à savoir celui de morceaux concertants. La condition première de leur facture consistait dans le sacrifice de toute idée artistique et indépendante, et dans un asservissement perpétuel à telle ou telle qualité d'organe ou de doigté propre à chaque exécutant. L'essentiel était d'omettre, d'annuler tout effet musical capable de maîtriser le virtuose malgré lui ou de le rejeter momentanément sur le second plan. Plus le public prit goût aux jouissances superficielles attachées à ce mode a'exécution, plus les compositions de cette nature devinrent insipides et dépourvues de caractère. Toutefois, ce fut pour ainsi dire un bonheur pour l'art que les virtuoses s'adonnassent ainsi à un genre spécialement fait pour eux, car ce fut autant de gagné pour les saines productions de l'art, soustraites par leur propre mérite à de semblables mutilations. Mais l'abus dépassa bientôt ses premières limites, la virtuosité devint de plus en plus envahissante, et toute composition musicale dut se résigner, pour avoir sa part des suffrages publics, à servir d'instrument et de prétexte aux expériences capricieuses des exécutants.

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