Accueil de la bibliothèque > Dix écrits de Richard Wagner
Dix écrits de Richard Wagner - De la musique allemande (7/7) > De la musique allemande (7/7) Marschner doit être regardé comme le continuateur le plus fidèle de ces deux
maîtres. Il s'inspira aux mêmes sources que Weber et Spohr, et conquit en peu de
temps une renommée assez active; mais, malgré l'étendue de ses facultés, ce
n'était pas un talent assez robuste pour soutenir et vivifier le véritable opéra
allemand, remis en
honneur par les chefs-d'œuvre de ses prédécesseurs. Enfin, l'imitation des
ouvrages de la nouvelle école française fit bientôt une irruption si, rapide en
Allemagne, et s'empara tellement de la faveur générale, que ce fut le coup de
grâce pour nos opéras nationaux dont le genre est à présent tout à fait aboli.
Il faut pourtant nous résoudre à entrer dans certains développements au sujet de cette dernière période, en raison de l'influence qu'elle a exercée, et parce
qu'on peut déjà prévoir que le génie allemand doit travailler à se rendre le
maître de ce nouveau mode comme il a réussi à le devenir des précédents.
Cette révolution n'a vraiment commencé en Allemagne qu'à l'apparition de
Rossini, dont le style si brillant, avec tout le génie qu'il fallait pour
opérer une pareille réforme, fit prendre en pitié les derniers vestiges de
l'ancienne école italienne, qui n'avait plus, il est vrai, pour elle qu'un reste
de formes décrépites. Ses chants, si pleins d'esprit, de gaieté et de
morbidesse, se propagèrent partout, et l'école française vint encore à l'appui
de cette transformation musicale, en alliant toute cette fraîcheur, cette
légèreté, cette richesse de formes à son mérite indépendant et réel. Le genre
rossinien gagna beaucoup à se combiner ainsi avec les qualités positives d'un
style arrêté, et les artistes français produisirent dans cette direction des
ouvrages dignes d'une admiration sans réserve, miroir fidèle en tout temps des éminentes qualités du caractère national. C'est ainsi que
l'aimable esprit chevaleresque de l'ancienne France semble avoir inspiré à
Boïeldieu sa délicieuse musique de Jean de Paris, car la vivacité et la grâce
naturelle de l'esprit français sont empreintes surtout dans le genre de
l'opéra-comique. Mais le point culminant du génie musical en France est sans
contredit la Muette de Portici, d'Auber, une de ces œuvres nationales dans
toute l'étendue du mot, et dont chaque nation ne peut guère montrer qu'un ou
deux exemples. L'impétuosité du drame, cette mer de passions et de sentiments,
peinte des plus brillantes couleurs et peuplée de mélodies pleines
d'originalité, de grâce et d'énergie, tout cela n'est-il pas la reproduction
idéale et vivante des annales les plus récentes de la nation française? et quel
autre qu'un Français eût pu entreprendre et parachever une œuvre semblable ? On
ne saurait disconvenir que cet admirable opéra a mis le comble à la gloire de
l'art musical français, et l'a signalé comme un digne exemple à tout le monde
civilisé. Pourquoi donc s'étonnerait-on que l'Allemand, doué surtout
d'impartialité et si facile à émouvoir, ait reconnu avec un sincère enthousiasme
ces progrès artistiques d'un peuple voisin ?
En effet, l'Allemand juge avec
moins de prévention que personne, et d'ailleurs ces productions nouvelles
répondirent, à leur apparition, à un besoin incontestable. Car il n'est que trop
avéré,
que la musique dramatique, avec ses plus larges développements, ne saurait
prospérer par elle-même en Allemagne, et cela par les mêmes raisons qui
s'opposent à la perfection du drame et de la comédie. En revanche, les
Allemands, je le répète, semblent avoir le privilège de s'approprier les
créations de l'art étranger pour les perfectionner, les ennoblir et en
généraliser l'influence. Haendel et Gluck l'ont prouvé surabondamment, et de nos
jours un autre Allemand, Meyerbeer, nous en offre un nouvel exemple.
Arrivé au point d'une perfection complète et absolue, le système français
n'avait plus, en effet, d'autres progrès à espérer que de se voir généralement
adopté et de se perpétuer au même degré de splendeur; mais c'était aussi la
tâche la plus difficile à accomplir. Or, pour qu'un Allemand en ait tenté
l'épreuve et obtenu la gloire, il fallait sans contredit qu'il fut doué de cette
bonne foi désintéressée, qui prévaut tellement chez ses compatriotes, qu'ils
n'ont pas hésité à sacrifier leur propre scène lyrique pour admettre et cultiver
un genre étranger, plus riche d'avenir et qui s'adresse plus directement aux
sympathies universelles. En serait-il autrement quand la raison aurait anéanti
la barrière des préjugés qui séparent les différents peuples, et quand tous les
habitants du globe seraient d'accord pour ne plus parler qu'une seule et même
langue?
On peut donc avancer qu'en fait de musique
dramatique, l'Allemand et le Français n'en ont qu'une, que les productions
aient vu le jour dans l'un ou l'autre pays, ce qui est plutôt une question de
lieu qu'une différence fondamentale. De cette intime union entre les deux
nations et de
l'échange habituel de leurs talents les plus distingués, il est résulte pour
l'art en général une double inspiration et une fécondité magnifique, dont nous
avons déjà d'éclatants témoignages. Il nous reste à souhaiter que cette noble
alliance se consolide de plus en plus ; car où trouver deux peuples, deux pays,
dont l'accord et la fraternité puissent présager à l'art des destinées plus
brillantes, si ce n'est l'Allemagne et la France? ***
Accueil
- Avant-propos
- De la musique allemande
- « Stabat Mater », de Pergolèse
- Du métier de virtuose
- Une visite à Beethoven
- De l'ouverture
- Un musicien étranger à Paris
- Le musicien et la publicité
- Le « Freischütz »
- Une soirée heureuse
- Halévy et « la Reine de Chypre »
|