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LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS - CHAPITRE II — Le matériel sonore - De l'instrumentation. Violon. > CHAPITRE II — Le matériel sonore > De l'instrumentation. Violon.
FAMILLE DES INSTRUMENTS A CORDES ET A ARCHET
Violon.
C'est incontestablement le roi de l'orchestre Aucun instrument ne peut rivaliser
avec lui, en quoi que ce soit, ni comme richesse de timbre, ni par les infinies
variétés d'intensité, ni pour la vitesse d'articulation, et encore moins pour la
sensibilité presque vivante de la corde vibrant directement sous le doigt qui la
presse. Il partage avec la voix humaine la faculté inappréciable de faire varier
à l'infini la hauteur absolue des sons, et seul avec l'orgue il possède le
pouvoir de les prolonger indéfiniment.
Ces incomparables qualités se retrouvent, il est vrai, dans les autres
instruments de la même famille (alto, violoncelle, contrebasse), mais c'est chez
lui qu'elles
s'épanouissent, sans conteste, avec leur maximum d'intensité.
Le violon ne possède pourtant que quatre cordes, en boyau de mouton, tendues au
moyen de vulgaires chevilles
de bois, ainsi accordées :
1
et dont la quatrième est entourée d'un fil métallique pour la rendre plus
lourde2.
En attaquant ces cordes à vide3, on n'obtient que les quatre sons ci-dessus;
mais en raccourcissant la portion vibrante de l'une d'elles par la pression d'un
doigt de la main gauche, on lui fait produire une succession continue,
insensiblement graduée, passant par tous les degrés diatoniques, chromatiques
ou enharmoniques, aussi par toutes leurs plus infimes subdivisions, et s'élevant
ainsi jusqu'aux sons les plus aigus, sans autre limite que celle assignée à
chaque exécutant par son habileté personnelle. Il n'y a donc de sons fixes,
invariablement justes dès que l'instrument est bien accordé, que ceux des quatre
cordes à vide ; tous les autres sons doivent être faits par l'artiste, qui les
peut faire varier à l'infini.
En un mot, le violoniste a la faculté de jouer faux, ce dont il abuse
quelquefois, mais qui, bien employée, constitue une inépuisable richesse
d'intonations variées , une puissance d'expression et d'émotion communicative à
nulle autre pareille. Le violon chante véritablement, comme aussi il rit, pleure
et crie; il ne lui manque que la parole pour égaler la voix humaine, avec une
étendue bien plus considérable.
L'archet, enduit de colophane4, agrippe la corde, soit en tirant, soit en
poussant (signes conventionnels de notation : Tirez
ou;
Poussez ou
),
et détermine ainsi, avec une admirable sensibilité, les nuances, les
ponctuations du discours musical; de lui dépendent aussi, en grande partie, les
fluctuations du timbre; c'est lui qui détermine la vibration, en règle
l'intensité et en modifie le timbre, tandis que la main gauche gouverne, comme
on l'a vu, l'intonation.
Indépendamment des sons ordinaires ou naturels dont nous venons d'étudier le
mode de production, le violon peut aussi émettre des sons harmoniques d'un
caractère particulièrement doux et séraphique, qui ne sont pas sans analogie avec
le timbre de la flûte ou les sons de tête de la voix humaine5, et peuvent
acquérir une certaine intensité; pour les produire, le violoniste ne doit plus
presser sur la corde pour en diminuer la longueur, mais seulement l'effleurer en
certains points déterminés6, de façon à éteindre le son naturel, dont alors
l'harmonique se dégage dans toute sa pureté.
Les harmoniques naturels sont ceux des cordes à vide :
(On les indique par un petit zéro au-dessus de la note :
.)
Mais on peut produire aussi des harmoniques artificiels en appuyant avec un
doigt, qui détermine un son fondamental, puis en effleurant avec un autre doigt
pour effectuer la subdivision de la portion vibrante.
Ce procédé exige une certaine habileté; il n'est pas à la portée de tous les
violonistes, et le compositeur doit en user avec la plus grande prudence s'il
n'est pas violoniste lui-même.
Si, abandonnant l'archet, on pince la corde avec le doigt (pizzicato), on
obtient un son sec, sans durée appréciable, d'une intensité faible ou moyenne,
ayant quelque rapport, quoique plus mat, avec celui des instruments à cordes
pincées (guitare, mandoline), qui, bien qu'assez restreint dans ses emplois,
constitue encore une nouvelle ressource. Pour indiquer la fin d'un passage en
pizzicato, le compositeur écrit : col'arco, avec l'archet.
Enfin, le violon, bien qu'étant d'essence un instrument mélodique,
principalement destiné à l'émission de contours ayant caractère vocal, est apte,
sous certaines conditions, à faire entendre deux sons à la fois, ou même des
arpèges composés de trois ou quatre sons presque simultanés; là se bornent ses
aptitudes polyphoniques, qui ne sont pour lui qu'un accessoire secondaire.
J'allais oublier la sourdine. C'est une sorte de pince d'une forme particulière,
qui vient s'emboîter sur le chevalet, et qui, en l'alourdissant, intercepte dans
une certaine mesure la transmission des vibrations de la corde à la table
d'harmonie, au coffre du violon, lequel n'est pas autre chose qu'un admirable
résonnateur, dont elle atténue l'énergie.
On indique l'emploi de la sourdine par les mots : con sordino ou avec sourdine,
et sa cessation par : senza sordino ou ôtez la sourdine. Un silence de quelques
secondes suffit pour cette manipulation.
Par la simplicité et la souplesse de ses organes, par la richesse et la variété
de leurs effets, comme aussi par ses dimensions commodes et maniables, par sa
légèreté, et encore plus par l'absence totale de tout mécanisme interposé entre
la corde sonore et la volonté de l'artiste, le violon est certainement
l'instrument le plus docile, celui qui permet le plus complet développement de
la virtuosité.
On n'attend pas que nous donnions ici le doigté du violon, pas plus qu'un
aperçu même succinct des formules innombrables qui lui sont familières ; c'est
l'affaire des méthodes de violon et des traités d'instrumentation; tout ce que
nous pouvons faire, c'est de signaler ce qui doit être considéré comme
impossible, ou tellement difficile d'exécution qu'il est plus sage de ne pas le
lui demander, au moins à l'orchestre, car depuis Paganini le virtuose violoniste
ne connaît plus d'impossibilités.
Or donc, à l'orchestre, il est prudent de ne pas excéder,
comme limite aiguë, le la
ce qui fournit déjà une
belle étendue.
Quand on emploie le pizzicato, on ne peut guère espérer un bon effet des sons
qui dépassent le do ou le ré aigus :
; ils deviennent par trop secs et cassants.
Les sons harmoniques naturels sont seuls d'un emploi certain, et cela encore
dans un mouvement modéré; pour les employer autrement, il faut de toute
nécessité posséder soi-même la pratique du violon ou d'un autre instrument à
cordes. Il en est un peu de même pour les doubles cordes, et à plus forte raison
pour les triples et quadruples cordes, dont ne peut faire un usage certain,
surtout dans des mouvements rapides, que celui qui a étudié le doigté de
l'instrument. Donc, quand on n'est pas quelque peu violoniste soi-même, il faut
s'abstenir d'écrire les intervalles suivants :
1° Tous ceux dont les deux notes sont inférieures au ré
comme
qui sont totalement
impraticables, par la simple raison que les deux sons qui les composent
appartiennent exclusivement à la seule corde grave sol. qui n'en peut fournir
qu'un à la fois;
2°
Les secondes au-dessus de
;
3° Les tierces au-dessus de
, de même que
celles-ci : qui
ne sont pas sans présenter quelque difficulté;
4° Les quartes au-dessus de
;
5° Les quintes au-dessus de
;
6° Les sixtes au-dessus de
;
7° Les septièmes au-dessus de
;
8° Les octaves au-dessus de
, ainsi que celles-ci
: , y qui exigent une extension assez pénible.
Au delà de l'octave, toute double corde dont ta note
grave n'est pas une corde à vide, comme
doit être considérée comme impraticable, ou tout au moins d'une exécution
dangereuse.
Pour les accords de trois et quatre sons, qui ne peuvent être émis, en raison de
la convexité du chevalet, qu'au moyen d'un arpège plus ou moins rapide, les plus
commodes sont naturellement ceux qui contiennent des
cordes à vide, comme :dehors de ceux-ci, il n'est prudent d'écrire que des accords disposés en quintes
et en sixtes mélangées, tels
que : . On
peut encore admettre quelques septièmes, ainsi disposées sur les trois cordes
aiguës, depuis jusqu'à
: mais ce n'est guère que dans les parties d'accompagnement, ou au contraire
lorsque le violon est traité en instrument solo (deux cas diamétralement
opposés), qu'il y a lieu d'employer fréquemment les doubles, triples et
quadruples cordes. Le violon est avant tout un organe mélodique, le splendide et
étincelant soprano des instruments à cordes, le plus riche en effets variés, le plus agile, le plus expressif et le
plus passionné des éléments de l'orchestre.
Toutes les tonalités lui sont accessibles, mais il est d'autant plus à son aise
qu'il peut faire un usage plus fréquent des cordes à vide. En conséquence, les
tons les plus commodes, comme aussi les plus sonores, sont ceux qui contiennent
peu d'altérations; toutefois il n'y a guère à tenir compte de cela que dans les
mouvements rapides, en raison de l'extrême habileté des violonistes actuels.
Il n'existe pas d'instrument dont la connaissance intime soit utile au. même
degré pour quiconque veut s'occuper intelligemment d'instrumentation. Tout
compositeur ayant souci de bien écrire pour l'orchestre devrait avoir tenu un
violon en main, ne fût-ce que pendant quelques mois, et aucun traité
d'instrumentation, quelque parfait qu'il soit, ne pourra jamais remplacer les
notions pratiques ainsi acquises.
1. La première corde s'appelle aussi « chanterelle
».
2. C'est ce qu'on appelle une corde filée.
3. Vibrant dans toute leur longueur, sans autre contact que l'archet.
4. Mélange de deux parties de résine et d'une partie de poix blanche; se
fabriquait autrefois à Colophon (Asie Mineure); on disait alors colophone.
5. En Allemagne, on les appelle : sont de flageolet.
6. Ses divisions naturelles la moitié, le tiers, le quart... Voir
sons harmoniques.
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