Accueil de la bibliothèque > La musique et les musiciens
LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS - CHAPITRE II — Le matériel sonore - De l'instrumentation. - Voix extraordinaires > CHAPITRE II — Le matériel sonore > De l'instrumentation. - Voix extraordinaires Disons deux mots des voix exceptionnelles.
Il n'est pas rare, en Russie, de trouver des voix de contrebasse qui font entendre nettement le
lab une
quinte au-dessous du mib, qui est l'extrême limite de nos basses-tailles les
plus caverneuses.
A l'aigu, aucune voix d'homme ne paraît avoir excédé le fameux ut dièse de
poitrine de Tamberlick.
Dans la voix de Faure, on trouve réunies les étendues de la basse chantante et
du ténor ; mais le timbre est par excellence celui du baryton.
L'admirable voix de l'Alboni, le type le plus parfait du contralto, parcourait,
en conservant partout la même richesse de timbre, cette énorme étendue1 :

Mlle Nillsonn, et après elle Mlle Bilbaut-Vauchelet, nous ont fait entendre,
dans l'air de la Reine de la Nuit de la Flûte enchantée, et sans effort
apparent, le fa suraigu

que devait également posséder la première créatrice du rôle, dont le nom nous
est inconnu; Mlle Sibyl Sanderson, la resplendissante Esclarmonde de Massenet, monte couramment au
sol

Ce sont bien là des voix extraordinaires; à quel degré devait dont l'être celle
de Lucrèce Aguiari, dite « la Bassardella », que Mozart a entendue en 1770, et qui a exécuté devant lui des vocalises jusqu'à
l'ut2

de 4,138
vibrations par seconde?
Entre le contre-la b des basses russes et l'ut sur-aigu de la Bastardella, il y a
un écart de 5 octaves et une tierce majeure ; c'est l'ultime limite de l'organe
vocal , dans ses manifestations les plus rares.
1. J'avais demandé à l'Alboni l'étendue exacte
de sa voix; en réponse, elle m'a adressé la curieuse lettre suivante, que je ne
puis résister au désir de reproduire; je n'en supprime que quelques passages
absolument personnels :
Paris, 36 mars l892.
Mon cher Lavignac,
.....A l'âge de huit ans j'avais une voix de
contralto déjà formée; et celui qui m'aurait entendu, sans me voir, aurait pu
croire que c'était un jeune homme de 16 à 18 ans qui chantait. J'avais une très
grande facilité à retenir les morceaux que j'entendais : il m'arrivait souvent
de chanter les Soli du Contralto, et ensuite les Soli du Soprano dans le
registre du Soprano. C'était un jeu d'enfant qui aurait pu me coûter cher; car
lorsqu'à l'âge de onze ans je commençais à étudier très sérieusement la musique
et le chant, j'avais un véritable trou entre les deux registres. Je m'appliquais
à corriger ce défaut avec beaucoup de soins, d'études et d'exercices, et
j'arrivai ainsi à obtenir des notes du milieu, du Si bémol au Ré
naturel, d'une douceur très grande ; mais jamais ces notes ne furent aussi
robustes que les notes basses ! C'est par ma manière de chanter que j'ai pu,
tant bien que mal, cacher ce défaut.
Lorsque après plusieurs années d'études ma voix
fut arrivée à son complet développement, je pouvais très facilement faire une
gamme du Sol bas, à l'Ut aigu des Soprano : quelques fois, en faisant ces
exercices, j'allais du Fa bas, jusqu'au Ré et au Mi bémol
aigu ; mais c'était pour mon amusement. En public, je ne me suis jamais permise
que le Sol bas, et l'Ut aigu.
Avec mes deux registres, j'ai pu chanter le
Contralto et le Soprano; surtout hors de France, où j'étais obligée de choisir
mon répertoire comme je le pouvais : la musique de Rossini n'étant pas toujours
appréciée à sa juste valeur.
Je chantais « La Somnambule ; Norma;
Don-Pasquale; Anna Bolena; La fille du Régiment, etc., etc., etc. ! J'ai
chanté aussi le rôle d'Elena de la Donna del Lago; Ninetta de la Gazza
Ladra, etc., etc., etc. — Bien entendu, j'ai chanté aussi tous les rôles de
Contralto de ces différents ouvrages.
. A Londres en 1848, au Théâtre de
Covent-Garden, j'ai chanté le rôle de Don Carlos ,dans L'Hernani
de Verdi, pour faciliter les débuts d'une camarade; la troupe du théâtre n'ayant
pas de Baryton dans ce moment là ! !)
La voix de de Contralto étant par elle-même
monotone, j'introduisais des roulades de mon cru dans les points d'orgue; mais
toujours dans le .style de l'ouvrage que je chantais : j'allais ainsi souvent
jusqu'à l'Ut aigu. Mais j'avais bien soin de finir toujours par une note
de vrai Contralto, car c'était mes notes les plus veloutées et les plus
nourries!
De cette façon j'étais sûre de mon effet !!!
Voilà, mon cher Lavignac, ce que je puis vous
dire........
Marie Ziéger Alboni.
2. Il est bon de tenir compte qu'en 1770 le diapason était
un peu plus bas
qu'aujourd'hui.
|