Accueil de la bibliothèque > La musique et les musiciens
LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS - CHAPITRE PREMIER - Étude du son musical - Rapports entre l'acoustique et le rythme > CHAPITRE PREMIER - Étude du son musical > Rapports entre l'acoustique et le rythme G. — Rapports entre l'acoustique et le rythme.
Si donc certains locaux présentant des effets d'écho ou de répercussion sont par
cela même impropres ou mal appropriés à l'usage musical, leur imperfection
s'accroît d'autant plus que l'on y fait entendre des sons se succédant plus
rapidement ; dans une salle trop sonore, des accords isolés, ou séparés par de
longs silences, peuvent produire une résonance harmonieuse et imposante, tandis
qu'une suite de sons émis à des intervalles plus rapprochés n'aboutirait qu'à un
horrible charivari, chacun d'eux devant fatalement se mélanger avec celui ou
ceux qui l'ont précédé, d'abord, puis ensuite avec celui ou ceux qui le suivent.
Ce fait, qui explique, entre parenthèses, pourquoi les orateurs, les
prédicateurs surtout, parlent lentement, séparent les mots et les syllabes, pour
diminuer les chances de confusion entre les ondes émises et les ondes de retour,
permet d'établir un lien entre les trois qualités principales du son,
l'intonation, l'intensité et le timbre, commandées par les lois de l'acoustique,
et une quatrième qualité, la durée, qui semble arbitraire, abandonnée au caprice
du compositeur ou de l'exécutant, et qui est pourtant soumise à certaines lois,
naturelles aussi, celles du rythme, peu connues et peu étudiées.
On a recherché l'origine du sentiment rythmique dans la marche, dans les
battements du cœur, dans les bruits de la respiration, et plus mathématiquement
dans les oscillations invariablement isochrones du pendule.
La marche nous donne bien l'idée la plus simple de la division binaire. A l'état
de veille, on respire régulièrement, à deux temps ; mais pendant le sommeil
l'expiration est deux fois plus longue que l'aspiration, ce qui produit la
division ternaire, la mesure à trois temps.
Le métronome, instrument qui mesure le rythme musical comme le monocorde mesure
les vibrations, n'est pas autre chose qu'une horloge qui bat des fractions de
minute, comme le ferait un pendule dont on pourrait à volonté faire varier la
longueur. Or, je tiens à rappeler, pour en faire le rapprochement, que c'est
justement dans les mouvements du pendule que nous avons trouvé la démonstration
la plus simple de la vibration. Nous nous trouvons donc ramenés, par cette
incursion dans le domaine du rythme, exactement au point de départ de nos
recherches sur les phénomènes acoustiques ayant caractère musical.
Quelle qu'en soit l'origine, il est certain que le sentiment de la division du temps en parties égales existe chez nous, mais dans des
limites restreintes, et que nous ne percevons avec précision et certitude que
deux modes de division les plus simples : par 2 et par 3, la division binaire et
la division ternaire. Nous reconnaissons bien l'égalité en durée de huit ou
seize sons émis successivement, mais c'est au moyen de cette opération mentale
inconsciente : 16 : : 2 : : 2 : : 2 = 2. En 9, nous saisissons de même 3 fois 3.
La preuve, c'est que nous n'évaluons pas avec la même facilité des groupes
formés de 10, 15 ou 17 sons. Pour que nous ayons la perception nette de la
division du temps, il faut que nous puissions la ramener à l'un de ces deux points de comparaison :
2/1 ou 3/2, qui sont aussi bien
les bases du système rythmique que celles du système harmonique.
Les combinaisons que l'on peut tirer de ces deux modes de division sont à peu
près inépuisables, et nous sommes loin de les employer toutes ; chez les Arabes
et les Orientaux, qui ne connaissent pas l'emploi des sons simultanés, le rythme
a acquis une importance et un développement plus considérables, car c'est en lui
seul que consiste la richesse de l'accompagnement1.
Ce n'est pas ici, en raison de l'ordre méthodique adopté dans ce petit ouvrage,
que doit prendre place l'étude du rythme; aussi je n'en parle que pour signaler
au lecteur ce fait remarquable, que tous les éléments constitutifs de l'art
musical se rattachent aux mathématiques, ou, pour mieux dire, en dérivent.
Est-ce pour cela qu'en générai les savants, mathématiciens, physiciens,
physiologistes, sont des amateurs passionnés de musique? En tout cas,
comme ils diraient eux-mêmes, la réciproque n'est pas vraie, car il est rare,
regrettablement rare, de voir un musicien se complaire dans l'étude des sciences
positives, ne fût-ce que pour y rechercher la cause première des phénomènes
naturels avec lesquels il joue familièrement. Il est pourtant
certain qu'en musique tout n'est que nombres et rapports de nombres.
J'espère bien que personne ne pensera que j'aie eu la prétention de faire ici,
en 76 pages, un traité d'acoustique; plus encore que la place, la science m'eût
manqué pour cela. Ce que j'ai voulu démontrer, c'est que ceux qui s'intéressent
à l'art musical peuvent trouver un plaisir réel à l'analyse scientifique des
matériaux bruts de cet art; si j'ai réussi à leur ouvrir de nouveaux horizons, à
éveiller leur curiosité, mon but est atteint, et il ne me reste plus qu'à leur
signaler les ouvrages dans lesquels ils pourront véritablement étudier
l'acoustique, ouvrages dans lesquels j'ai puisé d'ailleurs la plus grande partie
de mes documents :
Helmholtz, Théorie physiologique de la musique, traduit par
Guéroult. (Paris, Victor Masson, 1868.)
J. Tyndall, le Son, traduit par l'abbé Moigno. (Paris, Gauthier-Villars, 1869.)
Radau, l'Acoustique. (Paris, Hachette, 1870.)
Mabillon, Éléments d'acoustique. (Bruxelles, 1874.)
G. Kastner, la Harpe d'Èole et ta musique cosmique. (Paris, 1856.)
Je procéderai de même par la suite. Les chapitres qui vont venir ne visent a
remplacer ni les Traités d'Instrumentation, ni les Cours d'Harmonie et de Fugue;
ils ne prétendent pas enseigner la Composition ou l'Histoire de la Musique; mais
seulement répandre dans le public musical des notions vraies et précises sur
chacune de ces branches de l'érudition artistique, de nature à intéresser les
amateurs et les curieux, comme guider les jeunes étudiants dans la direction
de leurs travaux.
1. Chose singulière, ils lui donnent le nom d'harmonie qui doit être pris ici,
nécessairement, dans le sens d'accompagnement.
|