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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - VOYAGE EN DAUPHINÉ. Deuxième pèlerinage à Meylan. — Vingt-quatre heures à Lyon. — Je revois Mme F****** — Convulsions de cœur. (8/13) > VOYAGE EN DAUPHINÉ. Deuxième pèlerinage à Meylan. — Vingt-quatre heures à Lyon. — Je revois Mme F****** — Convulsions de cœur. (8/13) 2e LETTRE
« Paris, 2 octobre 1864.
» Votre lettre est un chef d’œuvre de triste raison. J’ai
attendu jusqu’à ce jour pour y répondre, dans l’espoir d’arriver à me rendre
maître de l’accablante émotion qu’elle a produite en moi. Oui, vous dites vrai;
vous ne devez pas former de nouvelles amitiés, vous devez éviter tout
ce qui pourrait troubler votre existence, etc. Mais je ne l’eusse pas
troublée, soyez-en certaine, et cette amitié que je sollicitais humblement pour
un temps plus ou moins éloigné, ne vous fût jamais devenue à charge.
(Avouez que ce mot de votre lettre a dû me paraître cruel!) Je me contente de ce
que vous daignez m’accorder, quelques sentiments affectueux, une place
dans vos souvenirs, et un peu d’intérêt pour les événements de ma
carrière. Merci, madame. Je suis à vos pieds, je baise respectueusement vos
mains. Vous me dites que je pourrai quelquefois, irrégulièrement, rarement,
recevoir une réponse à mes lettres; merci encore pour votre promesse. Ce que je
sollicite avec instances, avec larmes, c’est la possibilité d’avoir de vos
nouvelles. Vous parlez si courageusement de la vieillesse et des ans, que
j’oserai vous imiter. J’espère mourir le premier; que je puisse avec certitude
vous envoyer un dernier adieu! Si c’est le contraire, que je sache que vous avez
quitté ce triste monde... Que votre fils m’avertisse... pardon... Mes lettres ne
doivent pas être adressées à l’aventure. Accordez-moi ce que vous accorderiez à
tout indifférent, votre adresse à Genève.
» Je n’irai pas vous voir ce mois-ci à Lyon; évidemment
cette visite vous paraîtrait indiscrète. Je n’irai pas non plus à Genève avant
une année au moins; la crainte de vous importuner me retiendra. Mais, votre
adresse, votre adresse! Aussitôt que vous la saurez, envoyez-la-moi, par grâce.
Si votre silence m’indique un impitoyable refus et une intention formelle de
m’interdire la plus timide relation avec vous, si vous me mettez ainsi rudement
à l’écart, comme on le fait pour les êtres dangereux ou indignes, vous aurez
porté à son comble un malheur qu’il vous eût été si facile d’adoucir. Alors,
madame, que Dieu et votre conscience vous pardonnent! Je resterai dans la froide
nuit où vous m’aurez plongé, souffrant, désolé, et votre dévoué jusqu’à la mort.
» HECTOR
BERLIOZ. »
(Quel désordre et quelles contradictions dans cette lettre!)
2e RÉPONSE DE Mme F******
« Lyon, 14 octobre 1864.
» Monsieur,
» Ne sachant pas quand il me sera possible de vous
écrire, je viens à la hâte tracer ces quelques lignes, afin que vous ne pensiez
pas que j’ai l’intention de vous traiter comme un être dangereux ou indigne. Mon
fils arrive demain soir chez moi, pour se marier le 19 courant. Je vais avoir
pendant plusieurs jours ma maison remplie de monde, j’aurai mille
préoccupations, comme mère et maîtresse de maison; il me sera donc impossible
d’avoir des instants de liberté et de loisir. Aussitôt après le mariage de mon
fils, je dois songer aux préparatifs de mon départ pour Genève, ce qui n’est pas
pour moi une petite besogne, car ma santé ne me permet pas toujours de faire ce
que je voudrais. Je partirai vers les premiers jours de novembre; quand je serai
installée dans ma nouvelle résidence, je vous donnerai mon adresse, ce que je ne
peux faire aujourd’hui, car je l’ignore. J’aurais attendu l’arrivée de mon fils
pour la savoir, si je n’eusse pas craint que vous interprétassiez en mal mon
long silence. Recevez, monsieur, l’assurance de mes souvenirs affectueux.
» EST.
F******. »
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