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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - POSTFACE. J’ai fini. — L’Institut. — Concerts du palais de l’Industrie. — Jullien. — Le diapason de l’éternité. Les Troyens. — Représentations de cet ouvrage à Paris. — Béatrice et Bénédict. — Représentations de cet ouvrage à Bade et à Weimar. — Excursion à Lœwenberg. — Les concerts du Conservatoire. — Festival de Strasbourg. — Mort de ma seconde femme. — Dernières histoires de cimetières. — Au diable tout! (3/7) > POSTFACE. J’ai fini. — L’Institut. — Concerts du palais de l’Industrie. — Jullien. — Le diapason de l’éternité. Les Troyens. — Représentations de cet ouvrage à Paris. — Béatrice et Bénédict. — Représentations de cet ouvrage à Bade et à Weimar. — Excursion à Lœwenberg. — Les concerts du Conservatoire. — Festival de Strasbourg. — Mort de ma seconde femme. — Dernières histoires de cimetières. — Au diable tout! (3/7) CETTE PROMESSE FAITE SPONTANÉMENT
PAR SON EXCELLENCE
NE FUT PAS MIEUX TENUE QUE TANT D’AUTRES, ET À PARTIR DE CE MOMENT IL N’EN A
PLUS, ETC., ETC. Et voilà comment, après une longue attente inutile et
las de subir tant de dédains, je cédai aux sollicitations amicales de M.
Carvalho et je
consentis à lui laisser tenter la mise en scène des Troyens à Carthage1
au Théâtre-Lyrique, malgré l’impossibilité manifeste où il était de la mener à
bien. Il venait d’obtenir du gouvernement une subvention annuelle de 100,000
francs. Malgré cela l’entreprise était au-dessus de ses forces; son théâtre
n’est pas assez grand, ses chanteurs ne sont pas assez habiles, ni ses chœurs ni
son orchestre suffisants. Il fit des sacrifices considérables; j’en fis de mon
côté. Je payai de mes deniers quelques musiciens qui manquaient à son orchestre,
je mutilai même en maint endroit mon instrumentation pour la mettre en rapport
avec les ressources dont il disposait. Mme Charton-Demeur, la seule
femme qui pût chanter le rôle de Didon, fit à mon égard acte de généreuse amitié
en acceptant de M. Carvalho des appointements de beaucoup inférieurs à ceux que
lui offrait le directeur du théâtre de Madrid. Malgré tout l’exécution fut et ne
pouvait manquer d’être fort incomplète. Mme Charton eut d’admirables
moments, Montjauze qui jouait Énée, montra à certains jours de l’entraînement et
de la chaleur; mais la mise en scène, que Carvalho avait voulu absolument régler
lui-même, fut tout autre que celle que j’avais indiquée, elle fut même absurde
en certains endroits et ridicule dans d’autres. Le machiniste, à la première
représentation, faillit tout compromettre et faire tomber la pièce par sa
maladresse dans la scène de la chasse pendant l’orage. Ce tableau, qui
serait à l’Opéra d’une beauté sauvage saisissante, parut mesquin, et pour
changer ensuite de décor, il fallut cinquante-cinq minutes d’entr’acte. D’où
résulta le lendemain la suppression de l’orage, de la chasse et de toute la
scène.
Je l’ai
déjà dit, pour
que je puisse organiser convenablement l’exécution d’un grand ouvrage tel que
celui-là, il faut que je sois le maître absolu du théâtre, comme je le suis de
l’orchestre quand je fais répéter une symphonie; il me faut le concours
bienveillant de tous et que chacun m’obéisse sans faire la moindre observation.
Autrement, au bout de quelques jours, mon énergie s’use contre les volontés qui
contrarient la mienne, contre les opinions puériles et les terreurs plus
puériles encore dont on m’impose l’obsession; je finis par donner ma démission,
par tomber énervé et laisser tout aller au diable. Je ne saurais dire ce que
Carvalho, tout en protestant qu’il ne voulait que se conformer à mes intentions
et exécuter mes volontés, m’a fait subir de tourments pour obtenir les coupures
qu’il croyait nécessaires. Quand il n’osait me les demander lui-même, il me les
faisait demander par un de nos amis communs. Celui-ci m’écrivait que tel passage
était dangereux, celui-là me suppliait, par écrit également, d’en supprimer un
autre. Et des critiques de détail à me faire devenir fou.
« — Votre rapsode qui tient à la main une lyre à quatre
cordes, justifie bien, je le sais, les quatre notes que fait entendre la harpe
dans l’orchestre. Vous avez voulu faire un peu d’archéologie.
— Eh bien ?
— Ah! c’est dangereux, cela fera rire.
— En effet, c’est bien risible. Ha! ha! ha! un tétracorde, une lyre antique
faisant quatre notes seulement! ha! ha! ha!
— Vous avez un mot qui me fait peur dans votre prologue.
— Lequel ?
— Le mot triomphaux.
— Et pourquoi vous fait-il peur ? n’est-il pas le pluriel de triomphal,
comme chevaux de cheval, originaux d’original, madrigaux de madrigal, municipaux
de municipal ?
— Oui, mais c’est un mot qu’on n’a pas l’habitude d’entendre.
— Pardieu, s’il fallait dans un sujet épique n’employer que les mots en
usage dans les guinguettes et les théâtres de vaudeville, les expressions
prohibées seraient en grand nombre, et le style de l’œuvre serait réduit à une
étrange pauvreté.
— Vous verrez, cela fera rire.
— Ha! ha! ha! triomphaux! en effet c’est fort drôle! triomphaux! est
presque aussi bouffon que tarte à la crème de Molière. Ha! ha! ha!
— Il ne faut pas qu’Énée entre en scène avec un casque.
— Pourquoi ?
— Parce que Mangin, le marchand de crayons de nos places publiques, lui
aussi, porte un casque; un casque du moyen âge, il est vrai, mais enfin un
casque et les titis de la quatrième galerie se mettront à rire et crieront :
ohé! c’est Mangin!
— Ah, oui, un héros troyen ne doit pas porter de casque, il ferait rire.
Ha! ha! ha! un casque! ha! ha! Mangin!
— Voyons, voulez-vous me faire plaisir ?
— Qu’est-ce encore ?
— Supprimons Mercure, ses ailes aux talons et à la tête feront rire. On n’a
jamais vu porter des ailes qu’aux épaules.
— Ah! l’on a vu des êtres à figure humaine porter des ailes aux épaules! je
l’ignorais. Mais enfin je conçois que les ailes des talons feront rire; ha! ha!
ha! et celles de la tête bien plus encore; ha! ha! ha! comme on ne rencontre pas
souvent Mercure dans les rues de Paris, supprimons Mercure. »
1. Deuxième partie du poème lyrique des
Troyens, à laquelle j’ajoutai une introduction instrumentale (le
Lamento) et un prologue.
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