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MÉMOIRES DE HECTOR BERLIOZ - POSTFACE. J’ai fini. — L’Institut. — Concerts du palais de l’Industrie. — Jullien. — Le diapason de l’éternité. Les Troyens. — Représentations de cet ouvrage à Paris. — Béatrice et Bénédict. — Représentations de cet ouvrage à Bade et à Weimar. — Excursion à Lœwenberg. — Les concerts du Conservatoire. — Festival de Strasbourg. — Mort de ma seconde femme. — Dernières histoires de cimetières. — Au diable tout! (1/7) > POSTFACE. J’ai fini. — L’Institut. — Concerts du palais de l’Industrie. — Jullien. — Le diapason de l’éternité. Les Troyens. — Représentations de cet ouvrage à Paris. — Béatrice et Bénédict. — Représentations de cet ouvrage à Bade et à Weimar. — Excursion à Lœwenberg. — Les concerts du Conservatoire. — Festival de Strasbourg. — Mort de ma seconde femme. — Dernières histoires de cimetières. — Au diable tout! (1/7) POSTFACE
J’ai fini. — L’Institut. — Concerts du palais de l’Industrie. — Jullien.
— Le diapason de l’éternité. Les Troyens. — Représentations de cet ouvrage à Paris. — Béatrice et
Bénédict. —
Représentations de cet ouvrage à Bade et à Weimar. — Excursion à Lœwenberg. — Les concerts du Conservatoire. — Festival de Strasbourg. — Mort de ma seconde
femme. — Dernières histoires de cimetières. — Au diable tout!
Il y a maintenant près de dix ans que j’ai terminé ces
mémoires. Il m’est arrivé pendant ce temps des choses presque aussi graves que
celles dont j’ai fait le récit. Je crois donc devoir en consigner ici
quelques-unes en peu de mots, pour ne plus revenir à ce long travail, sous aucun
prétexte.
Ma carrière est finie, Othello’s occupation’s gone.
Je ne compose plus de musique, je ne dirige plus de concerts, je n’écris plus ni
vers ni prose; j’ai donné ma démission de critique, tous les travaux de
musique que j’avais entrepris sont terminés; je ne veux plus rien faire, et je
ne fais rien que lire, méditer, lutter avec un mortel ennui, et souffrir d’une
incurable névralgie qui me torture nuit et jour.
À ma grande surprise, j’ai été nommé membre de
l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut, et si, quand j’y prends la parole de
temps en temps, les observations que je fais sur nos usages académiques sont
assez inutiles et restent sans résultats, je n’ai pourtant avec mes confrères
que des relations amicales et de tout point charmantes.
J’aurais bien des choses à raconter au sujet des deux
opéras de Gluck, Orphée et Alceste, que j’ai été chargé de mettre
en scène, l’un au
Théâtre-Lyrique et l’autre à l’Opéra;
mais j’en ai déjà beaucoup parlé dans mon volume
À travers chants
et ce que je pourrais ajouter... je ne veux pas le dire.
Le prince Napoléon m’a fait proposer d’organiser un
vaste concert dans le palais de l’Exposition des produits de l’industrie, pour
le jour où l’Empereur devait y faire la distribution solennelle des récompenses.
J’ai accepté cette rude tâche, mais en déclinant toute responsabilité
pécuniaire. Un entrepreneur intelligent et hardi, M. Ber, s’est présenté. Il m’a
traité généreusement, et cette fois ces concerts (car il y en a eu plusieurs
après la cérémonie officielle) m’ont rapporté près de huit mille francs. J’avais
placé, dans une galerie élevée derrière le trône, douze cents musiciens qu’on
entendit fort peu. Mais le jour de la cérémonie, l’effet musical était de si
mince importance, qu’au milieu du premier morceau (la cantate l’Impériale
que j’avais écrite pour la circonstance) on vint m’interrompre et me forcer
d’arrêter l’orchestre au moment le plus intéressant, parce que le prince avait
son discours à prononcer et que la musique durait trop longtemps... Le
lendemain, le public payant était admis. On fit soixante-quinze mille francs de
recette. Nous avions fait descendre l’orchestre qui, bien disposé cette fois
dans la partie inférieure de la salle, produisit un excellent effet. Ce jour-là
on n’interrompit pas la cantate, et je pus allumer le bouquet de mon feu
d’artifice musical. J’avais fait venir de Bruxelles un mécanicien à moi connu,
qui m’installa un métronome électrique à cinq branches. Par le simple mouvement
d’un doigt de ma main gauche, tout en me servant du bâton conducteur avec la
droite, je pus ainsi marquer la mesure à cinq points différents et fort distants
les uns des autres, du vaste espace occupé par les exécutants. Cinq sous-chefs
recevant mon mouvement par les fils électriques, le communiquaient aussitôt aux
groupes dont la direction leur était confiée. L’ensemble fut merveilleux. Depuis
lors, la plupart des théâtres lyriques ont adopté l’emploi du métronome
électrique pour l’exécution des chœurs placés derrière la scène, et quand les
maîtres de chant ne peuvent ni voir la mesure ni entendre l’orchestre. L’Opéra
seul s’y était refusé; mais quand j’y dirigeai les répétitions d’Alceste, j’obtins l’adoption de ce précieux instrument. Il y eut, à ces concerts du
Palais de l’Industrie, de beaux effets produits par les morceaux dont les
harmonies étaient larges et les mouvements un peu lents. Les principaux, autant
qu’il m’en souvienne, furent ceux du chœur d’Armide : Jamais, dans ces
beaux lieux, du Tibi omnes de mon Te Deum, et de l’Apothéose
de ma Symphonie funèbre et triomphale.
Quatre ou cinq ans après cette espèce de congrès
musical, Jullien, dont j’ai
déjà parlé à
propos de sa direction de l’Opéra anglais au théâtre de Drury Lane, vint à Paris
pour y donner une série de grands concerts dans le cirque des Champs-Elysées. Sa
banqueroute l’empêchait de signer certains engagements; je parvins heureusement
à lui faire obtenir son concordat et par suite la liberté de contracter. Le
pauvre homme en me voyant renoncer si aisément à ce qu’il me devait, fut pris,
au tribunal du commerce, d’un accès d’attendrissement et m’embrassa en versant
des flots de larmes. Mais à partir de ce moment, son état mental, dont personne
ne voulait, à Londres ni à Paris, reconnaître la gravité, ne fit qu’empirer.
Depuis nombre d’années pourtant, il prétendait avoir fait en acoustique une
découverte extraordinaire dont il fait part à tout venant. Mettant un doigt dans
chacune de ses oreilles, il écoutait le bruit sourd que le sang produit alors
dans la tête en passant par les artères carotides, et croyait fermement y
reconnaître un la colossal donné par le globe terrestre en roulant
dans l’espace. Puis sifflant avec ses lèvres une note aiguë quelconque, un
ré, ou un mi bémol, ou un fa, il s’écriait plein
d’enthousiasme : « C’est le la, le la véritable, le la des
sphères! voilà le diapason de l’éternité! »
Un jour il accourut chez moi : son air était étrange. Il
avait vu Dieu, disait-il, dans une nuée bleue, et Dieu lui avait
ordonné de faire ma fortune. En conséquence il venait d’abord m’acheter ma
partition des Troyens récemment achevée; il m’en offrait trente-cinq
mille francs. Ensuite il voulait, malgré mon désistement, acquitter sa dette de Drury Lane. « J’ai de l’argent, j’ai de l’argent, ajouta-t-il en tirant de sa
poche des poignées d’or et de billets de banque, tenez, tenez, en voilà,
payez-vous! » J’eus beaucoup de peine à lui faire reprendre son or et ses
billets en lui disant : « Une autre fois, mon cher Jullien, nous nous occuperons
de cette affaire et de la mission que Dieu vous a confiée. Il faut être pour
cela plus calme que vous n’êtes aujourd’hui. » Le fait est qu’il avait déjà reçu
des fonds considérables pour ses concerts des Champs-Élysées, d’un entrepreneur
à qui il avait inspiré une grande confiance. La semaine suivante, après avoir
fait un scandale public en jouant de la petite flûte dans son cabriolet sur le
boulevard des Italiens, et en invitant les passants à venir à ses concerts,
Jullien mourut d’un transport au cerveau. Combien y a-t-il en Europe à cette
heure, de musiciens que l’on prend au sérieux et qui sont aussi fous que lui!...
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